AVATAR : L’HYMNE A LA VIE DE JAMES HORNER

Par Aurélien Simon
 
James Horner était né pour composer Avatar
 
C’est comme si sa collaboration indirecte avec James Cameron (alors directeur des effets spéciaux) en 1980, sur le film de science-fiction produit par Roger Corman Battle Beyond The Stars (Les Mercenaires De L'Eespace), était le petit événement insignifiant qui allait amener les étoiles à lentement s’aligner jusqu’au jour de la composition d’Avatar.
 
C’est comme si l’amour de James Horner pour la musique ethnique et son utilisation obsessive de tous ces différents instruments colorés, au fil des années, avaient été comme un terrain d’entraînement le préparant directement à Avatar. En composant le tranchant motif du destin dans Brainstorm, en exprimant la torpeur militaire, froide et martiale d’Aliens (Aliens, Le Retour), en laissant cracher le shakuhachi enflammé de ses dragons orchestraux dans Willow, en libérant des rythmes et des chœurs africains percussifs et envoûtants dans Mighty Joe Young (Mon Ami Joe), en laissant parler la voix passionnée et éthérée de Rose dans Titanic, en fouillant désespérément dans le passé musical amérindien dans The New World (Le Nouveau Monde) et Apocalypto, en étant tout simplement James Horner et en construisant pierre à pierre, l’univers musical de James Horner, ce compositeur hors du commun cherchait déjà son Avatar, esquissait déjà par petites touches, comme un peintre, ce qui allait devenir l’aboutissement de ses recherches musicales et de la construction de sa toile gigantesque, parsemée de liens, de motifs, de thèmes, de couleurs symphoniques, ethniques et chorales.
 
Avatar est, pour la plupart des gens, le plus grand succès au cinéma de tous les temps. Pour une oreille musicale, c’est aussi une synthèse exhaustive et vertigineuse du patrimoine musical humain. Pour un musicologue c'est même un rêve devenant réalité, un incroyable rassemblement de savoir mis au service d’un film événement, qui a lui-même rassemblé les hommes, autour du simple mais tragique récit de la destruction d’un peuple.
 
Dès le début de l’album, "You don’t dream in cryo…", nous sommes appelés vers un état sauvage transcendant. Comme souvent chez James Horner, une voix s’élève au loin et nous invite à pénétrer un univers imaginaire. Des percussions et la frénésie d’un shakuhachi rythment notre entrée dans ce monde. Le motif du destin prévient alors nos oreilles de l’importance du récit qui va nous être conté, et une voix féminine douce et fantomatique plane au-dessus de nos esprits secoués par le voyage… Pas de doute, nous sommes en terrain hornérien. Et cette fois, il nous emmène loin, beaucoup plus loin qu’il ne nous ait jamais emmenés. Cette fois, il nous a préparés pour le grand voyage, celui qu’il attendait depuis tout ce temps, celui vers lequel sa musique rêvait désespérément de nous emporter depuis toutes ces années de labeur.
 
James Horner convoque des harmonies troublantes dans Jake Enters His Avatar World. Le piano classique côtoie une voix sauvage. L’orchestre symphonique et des sons synthétiques tutoient les flûtes amérindiennes de Tony Hinnigan et des pas et des claques énergiques dignes d’un épisode de Zorro. A partir de là, nous sommes avec eux, dans cette jungle sauvage pandorienne, sous la forme de notre avatar Na’vi, et nous sommes prêts à suivre un précieux enseignement, à découvrir un monde, un peuple, une culture, et à nous redécouvrir nous-mêmes et notre propre culture au travers d’un saisissant message musical.
 
 
 
Pure Spirits Of The Forest symbolise notre première rencontre avec la culture Na’vi. La sérénité du morceau nous apaise et nous apprend des sensations qui nous sont, hélas, trop méconnues dans notre monde réel. Une flûte de pan annonce très simplement un thème, aussi court qu’évident : I See You. Et nous pouvons presque voir, nous aussi alors, que le thème est étiré dans une forme délicatement imparfaite, lente et tranquille.
 
Alors que nous pouvions presque entendre et comprendre ce thème, il est soudainement interrompu par des bruits dissonants et des cuivres grondants. Notre récit débute bel et bien. Ce monde paisible dans lequel nous avons été transportés est en proie à un démon, musicalement indiqué par des cuivres on ne peut plus occidentaux et des nappes synthétiques menaçantes. Oui, le démon, c’est nous.
Le thème tente une nouvelle fois une apparition timide dans The Bioluminescence Of The Night. Il s’épanouit peu à peu, aidé par une tendre quena. site whois La tradition occidentale (un piano, un violon solo) se mêlent à des instruments plus colorés et exotiques, alors que nous apprenons le sens de ce thème, I See You.
 
La voix pure d’un soprano entonne alors le thème comme une évidence dans Becoming One Of The People, porté ensuite par le chœur Na’vi et l’orchestre grandiose de James Horner.
 
 
Nous poursuivons cette exploration des émotions Na’vi avec Becoming One With Neytiri amorcé par une quena chaude qui conclue le morceau en nous enrobant dans un cocon musical protecteur.
 
Climbing Up IknimayaThe Path To Heaven et Jake’s First Flight constituent des chocs culturels culminants (dans tous les sens du terme) avec l’univers musical Na’vi que James a progressivement mis en place. L’influence est clairement africaine et Mighty Joe Young (Mon Ami Joe) n’est jamais loin tant au niveau des voix que des rythmes, alors que nous escaladons avec vigueur les montagnes flottantes de Pandora et que nous chevauchons ses cieux à dos de banshee ! Le voyage auquel James nous convie n’a décidément pas peur de la démesure et nous emporte aussi loin que l’imagination le permette.
 
Le court avertissement auquel nous avions eu droit au début de la partition, revient nous frapper de plein fouet à partir de Scorched Earth. Le thème principal d’Avatar revêt alors des formes dramatiques et sérieuses qu’on ne lui aurait pas soupçonné, et le motif du danger revient brièvement nous prévenir qu’une tragédie se prépare. La furie orchestrale est lâchée à la fin de Quaritch, premier moment d’action de l’album, qui dessine un tournant décisif dans le récit et dans notre exploration de Pandora.
 
The Destruction Of Hometree est le morceau d’action pivot d’Avatar. L’orchestre devient dense et tous les éléments ethniques viennent lutter contre cette densification orchestrale, notamment le chœur africain, et le shakuhachi qui prend, au beau milieu de l’action, des airs sérieusement tragiques qu’il empruntait déjà dans Legends Of The Fall (Légendes D’Automne). Au moment de la chute de l’arbre-maison, le chœur redevient occidental, appuyé par le motif à quatre notes, qui se répète inlassablement, telle une âme en peine cherchant désespérément au milieu des débris une issue, un survivant, une raison au mal destructeur qui s’est abattu.
 
 
Shutting Down Grace’s Lab est une amère lamentation et privilégie la voix arabisante de Lisbeth Scott, qui fait écho aux voix de Tanja Tzarovska dans Troy (Troie) et Rahat Nusrat Fateh Ali Khan dans The Four Feathers (Frères Du Désert) et Apocalypto. Il se dégage de ce moment une douleur affligeante et une totale désolation.
 
La musique tente de reconstruire un espoir dans Gathering All The Na’vi Clans For Battle. Ce morceau est une incroyable démonstration de structure narrative. Il permet une transition très efficace entre un moment d’affliction terrible et un espoir galvanisant. Il débute par des instruments rares et discrets. Une flûte solitaire, un motif hésitant aux cordes, un violon cherchant une mélodie, des notes de piano sans fondement, cèdent vite la place à une mélodie symphonique qui va bientôt faire éclater le thème des Na’vis dans une forme resplendissante. Le rythme s’accélère, le chœur reprend son droit et scande sa conviction et le thème se soulève alors dans un flot de cymbales libératrices. James devient poignant alors qu’il déchaîne chœur, percussions et orchestre à l’unisson vers le chemin de l’espoir !
 
 
L’enchaînement devient terriblement efficace avec le début de War, le deuxième morceau d’action de l’album, et sans doute le plus impressionnant, même s’il fait l’impasse sur de nombreux moments-clés présents dans le film. La musique, portée par l’élan du morceau précédent, libère une rage guerrière chorale et cuivrée proche du morceau Charging Fort Wagner issu de Glory et aux percussions militaires qui transforment Pandora en LV-426, la planète glauque de Aliens. James Horner fait naître de cette tempête acharnée des lignes mélodiques incroyablement sophistiquées, qui portent l’auditeur au-dessus du vacarme et transforment un simple morceau d’action chaotique en un rouage parfaitement huilé servant à entraîner le récit musical tout entier vers une conclusion forcément poignante.
 
La transition avec I See You, version chantée, se fait alors tout naturellement, comme un rappel de l’apprentissage qui nous a été donné dans notre peau d'avatar, le temps d’un album exceptionnel. On reconnaît dans cette chanson le goût de James Horner pour les voix de diva (Leona Lewis) et les harmonies touchantes de My Heart Will Go On (Titanic) et de Then You Look at Me (Bicentennial Man).
 
Cette soudaine popularisation de la musique permet d’universaliser le message à notre planète entière. Elle rassemble les peuples et s’ancre instantanément dans une époque donnée, une modernité contemporaine bien réelle. L’auditeur peut ainsi prendre cette leçon pour lui, pour son propre peuple, pour son propre avenir.
 
 
Oui, James Horner était vraiment né pour composer Avatar. C’est l’aboutissement de son être et de son âme de musicien. Au travers de cette œuvre il ne fait que donner le message. A nous d’ouvrir les yeux et de voir le monde, c’est-à-dire le comprendre avec toutes ses richesses incommensurables, ses mécanismes biologiques fragiles et pourtant miraculeux, et toutes ses diversités culturelles. Avatar est un hymne à la vie.
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