S’il fallait résumer la musique de For Greater Glory en un mot, cela pourrait être un prénom. En latin, Clara signifie brillant ou glorieux, adjectifs qui conviennent parfaitement au dernier album de James Horner. Mais ce mot évoque également la merveilleuse personne qui a eu la gentillesse d'accepter il y a un an cet entretien et qui depuis ne nous avait pas oubliés. Disponible et avenante, Clara Sanabras prend le temps de revenir sur cette collaboration qui, à l’instar d’un Rahat Nusrat Fateh Ali Khan (Frères Du Désert), marque l’œuvre de James Horner d’une pierre blanche.
Comment s’est déroulée votre rencontre avec James Horner et votre implication dans cette musique ? Connaissiez-vous son œuvre?
Je connaissais son œuvre depuis le succès de Titanic, bien sûr. Cette année, je chante avec un groupe à Londres qui s'appelle London Voices et c'est le directeur qui m'a conseillé à James Horner pour For Greater Glory, car il cherchait une chanteuse maîtrisant la langue espagnole. La rencontre s’est ainsi faite.
Pourquoi selon vous le choix s’est-il porté sur vous ?
Je suppose qu'à Londres il y a beaucoup de variétés, mais dans le cas présent il avait besoin d'une chanteuse dotée d’une formation classique qui puisse également chanter de manière folklorique, plus naturelle, et c'est exactement ce dans quoi je me suis spécialisée. Je pense que c'est pour cette raison que l'on m'a recommandée et que j'ai été choisie.
Charlotte Church, Sissel, Annie Lenox, Lisbeth Scott ou encore Hayley Westenra… et maintenant vous. Que ressent-on lorsqu’on est choisie par un compositeur comme James Horner, qui a travaillé avec de telles chanteuses ?
C'est fantastique, évidement. Mon premier contact avec lui s’est fait par téléphone. Il m'a appelé une semaine avant l'enregistrement pour m'informer un peu de ce qu'il voulait. Il m'a dit : "Je veux surtout que tu chantes spontanément comme si cela sortait de ton cœur". Cette approche m'a beaucoup impressionnée car habituellement, pour les sessions de musique de film, on doit plutôt chanter dans un style déterminé en fonction de ce qui se passe dans la scène. Tandis qu'ici James m'a simplement dit : "Viens, on essaie et on verra si ça fonctionne" . Il m'a donné peu d’instructions et m'a dit de chanter comme je sais le faire d'habitude. Et tout s’est très bien passé.
James Horner vous a-t-il toutefois donné des consignes particulières avant ou pendant l’enregistrement ? Quels sentiments et quelles émotions vous a-t-il demandé de faire passer à travers votre voix ?
En écoutant la chanson, il m'a confié qu'il avait écrit un poème très court que quelqu'un avait traduit en espagnol. Le poème disait : "Entre le ciel et la terre, entre la lumière et l'obscurité, entre la foi et le péché, il n'y a que mon cœur, juste Dieu et mon cœur". Il m'a alors suggéré que je crée ma propre interprétation à partir de ces mots. Au début, il m'a demandé de chanter avec beaucoup d'air dans ma voix, beaucoup de respiration. Puis il m'a soufflé : "Chante le comme toi tu chantes". J'ai donc fini par le chanter ainsi sans avoir à penser à quoique ce soit, comme s'il l'avait écrit pour moi.
Nous nous demandons souvent quels mots il emploie pour faire passer sa vision aux musiciens et aux vocalistes. Pouvez-vous nous en dire plus sur sa façon de procéder ?
Avec beaucoup de générosité et beaucoup de patience. Je sais de par mon expérience sur de précédentes sessions pour des musiques de films que celles-ci coûtent très cher et que tout le monde est pressé. Quand on arrive là-bas, on te dit "Chante, maintenant". Je suis donc arrivée et j'ai demandé : " Comment voulez vous que je chante? On commence tout de suite ?" Il m'a alors répondu: "Non, non. Détends-toi. Assieds-toi, bois un verre d'eau. Ensuite on regarde la chanson, je te joue les accords…." Et pendant que nous regardions la chanson et qu'il me disait de prendre la chose calmement, deux heures se sont écoulées. J'ai commencé à chanter et nous avons commencé à enregistrer seulement au bout de ces deux heures lors de la première session. Si à un moment donné je me trompais, alors il me disait: "Ne t'inquiète pas, on recommence". C’était fantastique, James est une personne exceptionnelle.
Dans la scène où José est contraint de marcher avec les pieds ensanglantés (Jose Martyrdom), votre voix semble passer avec aisance de la gravité à la légèreté. Était-ce difficile d'obtenir ce résultat ?
A vrai dire, je ne me souviens pas l'avoir changée. Je n'ai pas encore pu voir le film car il n’a pas été distribué en Europe. Je me souviens de cette scène très dure où il est emmené au bord d’une fosse. Je me rappelle l'avoir vue une seule fois et l'avoir chantée avec ce souvenir en tête. La semaine suivante, nous avons fait une session avec le chœur au complet durant laquelle la scène était projetée avec ma voix, puis avec le chœur en entier. Saisie par le flot d'émotion qu'elle a ressentie dans cette scène accompagnée de la chanson et du chœur, l’une des choristes s’est évanouie. Cette scène était très intense.
Le fait d’enregistrer avec un orchestre symphonique représente-t-il des difficultés particulières ?
Une fois la partie orchestrale bouclée, j’ai enregistré la première session seule. Je devais alors revenir au bout d'une semaine. Mais on m’a rappelée le lendemain pour me dire: "James est en train de faire une session avec l'orchestre et il dit que cela ne marche pas sans toi. Peux-tu venir tout de suite ?". J'étais dans la rue et j'ai dû tout laisser en plan pour retourner au studio. Nous avons alors enregistré la chanson principale en direct avec l'orchestre. Ce qui est peu commun de nos jours, car tout dépend du budget alloué à la production et donc généralement les choses se déroulent à la va-vite. Je crois que James est l’un des rares compositeurs qui travaille encore à l'ancienne et qui s'obstine à jouer la musique en direct pour le film sans se précipiter et utiliser de "click track". Je pense que ce genre d'expérience ne m'arrivera plus. Quand je suis arrivée au studio, l'orchestre était au complet et avait eu une heure de repos en m’attendant. Nous avons alors commencé à jouer tous ensemble. Ce fut un moment unique et émouvant.
Votre voix concentre une part essentielle du pouvoir émotionnel de cette musique, elle transmet la foi et l’abnégation face à la barbarie, elle voyage entre l’espoir et la mort sans jamais se départir de son énergie et de sa résolution, à l’image des personnages. De quelle façon s’imprègne-t-on d’une telle responsabilité ?
Grâce aux expériences de la vie. Je suis une personne très normale, j'aime et j'essaie de rester en contact avec le monde réel, les bonnes émotions et j'accepte la tristesse. De nombreuses personnes ne peuvent l'accepter, parler d'elle, pleurer… J’ai toujours considéré au contraire que ce sentiment était important car en l'occurence la tristesse et la mélancolie sont particulièrement exploitées dans la musique. Je suis sûre que James a lui-même recours à ces sentiments pour composer.
Grâce aux expériences de la vie. Je suis une personne très normale, j'aime et j'essaie de rester en contact avec le monde réel, les bonnes émotions et j'accepte la tristesse. De nombreuses personnes ne peuvent l'accepter, parler d'elle, pleurer… J’ai toujours considéré au contraire que ce sentiment était important car en l'occurence la tristesse et la mélancolie sont particulièrement exploitées dans la musique. Je suis sûre que James a lui-même recours à ces sentiments pour composer.
Vous êtes née en France, vous avez grandi à Barcelone et maintenant vous vivez à Londres. Qu'est-ce qui vous a décidée à vous installer là-bas ? Est-ce lié à votre carrière de musicienne ?
Mes parents sont espagnols et musiciens, ils travaillaient en France avec l'orchestre de chambre de Rouen quand je suis née. Peu de temps après, nous sommes retournés à Barcelone. J'ai étudié au Lycée Français, ce qui m'a permis de rester en contact avec la culture française. A mes 18 ans, j'ai décidé de partir à Londres pour étudier la musique, du fait qu'en Espagne il régnait à cette époque une mentalité un peu hermétique concernant la voie que je voulais prendre, qui consistait à penser que lorsqu’on voulait devenir musicien ou chanteur on pouvait seulement faire carrière dans l'opéra. J'ai vite compris qu'en Espagne il n'y avait pas d’avenir pour moi. Je suis donc partie à Londres car cette ville concentre tellement de variétés et d'opportunités… J'y ai passé de très bons moments en tant que musicienne. Les professionnels sont parfois durs, mais à condition d’avoir du talent on vous donne les moyens de réussir, sans vous envoyer dans une impasse. J'ai eu beaucoup de chance.
Mes parents sont espagnols et musiciens, ils travaillaient en France avec l'orchestre de chambre de Rouen quand je suis née. Peu de temps après, nous sommes retournés à Barcelone. J'ai étudié au Lycée Français, ce qui m'a permis de rester en contact avec la culture française. A mes 18 ans, j'ai décidé de partir à Londres pour étudier la musique, du fait qu'en Espagne il régnait à cette époque une mentalité un peu hermétique concernant la voie que je voulais prendre, qui consistait à penser que lorsqu’on voulait devenir musicien ou chanteur on pouvait seulement faire carrière dans l'opéra. J'ai vite compris qu'en Espagne il n'y avait pas d’avenir pour moi. Je suis donc partie à Londres car cette ville concentre tellement de variétés et d'opportunités… J'y ai passé de très bons moments en tant que musicienne. Les professionnels sont parfois durs, mais à condition d’avoir du talent on vous donne les moyens de réussir, sans vous envoyer dans une impasse. J'ai eu beaucoup de chance.
The Emblem, votre dernier album sorti en janvier 2012, regroupe d’ailleurs une grande diversité d'influences. Peut-on dire qu’il vous ressemble ?
Exactement. Parfois, la presse est frustrée car elle n'arrive pas à vous cataloguer concrètement dans une catégorie. Je m’efforce toujours de faire quelque chose qui reflète la personne que je suis. De nos jours, je crois que les gens ne viennent pas d'un endroit unique, car nous voyageons tellement qu'en fin de compte nous sommes influencés par beaucoup de lieux et de cultures. J’essaye de refléter dans mon travail tout ce que j'ai appris avec les musiciens d'horizons différents que j'ai pu croiser.
Avez-vous un projet d'album en espagnol ?
Oui, j'ai justement terminé hier l’enregistrement de mon dernier disque, qui parle de l’exil espagnol et dont la date de sortie n’est pas encore déterminée. Il n’évoque pas seulement l'exil causé par la Guerre Civile Espagnole, mais aussi l'exil du XVème siècle, quand les juifs et les arabes ont été expulsés d'Espagne. Il contient deux chansons écrites en juif séphardique, trois poèmes en catalan et d’autre titres que j'ai écrits : quatre en catalan, ma langue natale, quatre en espagnol et quatre en anglais. Les chansons en anglais font référence à la Brigade Internationale. J’ai plus appris sur la Guerre Civile Espagnole pendant mes années à Londres que lorsque je vivais en Espagne, où le sujet reste tabou. De nombreux Londoniens ont vécu cet exil et peuvent apporter leur témoignage. Je voulais ainsi que ce projet recouvre les différentes facettes de l'exil.
Nous avons pu récemment vous entendre sur deux musiques de James Newton Howard (Blanche Neige Et Le Chasseur et The Hunger Games). Pouvez-vous nous parler de cette collaboration?
J’ai d’abord travaillé avec lui sur The Hunger Games, lors d’une session regroupant différents chanteurs. Il recherchait quelqu'un capable d’interpréter une voix bulgare comme le suggérait la partition, ce à quoi j’ai répliqué : "Je ne suis pas bulgare et je ne sais pas le faire mais je peux vous proposer quelque chose d’andalou avec des ornements." Ma participation fut brève puisque ma voix apparaît lorsqu'un hélicoptère survole une mosquée, d’où l’aspect ethnique. Plusieurs mois après cette session, on m'a rappelée pour Blanche Neige Et Le Chasseur, où il s’agissait cette fois d’une scène entière illustrant le baiser qui rend la vie à Blanche-Neige. Ma voix intervient au moment où elle ressuscite. La première fois, je n'ai fait que croiser James Newton Howard. La seconde fois, nous avons pu discuter et il m’écoutait chanter par téléphone depuis Los Angeles.
Vous participez depuis cet été à la tournée The Lord Of The Rings. Que retenez-vous aujourd’hui de cette expérience ?
La tournée continue. Actuellement, je me rends à Dublin et à la fin du mois d'octobre en Australie. Les chansons finales des trois films sont interprétées par des voix féminines. La première par Enya, la deuxième par Emiliana Torrini et la troisième par Annie Lennox. Pour dire la vérité, le fait de chanter les chansons de ces trois artistes avec un orchestre symphonique est un grand plaisir. Il y aussi dans la bande sonore des chansons qui utilisent des voix plus classiques comme par exemple celle de Renée Flemming, ce qui représente un grand défi car cela implique que la chanteuse soit capable de chanter indifféremment de la pop et du classique. Ça me va comme un gant et je m'amuse beaucoup. Les premières représentations ont eu lieu à Lyon et ont été très bien accueillies. J'espère pouvoir continuer l'an prochain.
Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur le concert intitulé 50 Years of Film Music in Her Majesty’s Secret Service, qui aura lieu en Suisse début octobre ?
C'est un projet du même chef d'orchestre (Ludwig Wicki) que la tournée du Seigneur des Anneaux, qui souhaite prolonger son travail sur les musiques des James Bond. Il est prévu que je chante dix chansons.
En 2004, vous aviez déjà participé à une musique de film en collaborant avec Jocelyn Pook (The Merchant Of Venice). Certaines de vos chansons ont été utilisées et vous jouez de divers instruments. Que retenez-vous de cette expérience ?
C'était d’autant plus intéressant qu’il s’agissait de ma première expérience en musique de films. Étant amie avec Jocelyn, elle avait connaissance de ma spécialisation en musique antique. Et comme elle avait besoin de quelqu'un pour la guider afin d'obtenir une authenticité dans les instrumentations, elle m'a appelée pour y travailler ensemble. J'ai chanté par la suite une chanson pour une scène qui nécessitait une approche plus classique. J'ai donc pu choisir ce que je voulais chanter. Je me suis alors tournée vers une chanson ancienne du compositeur Luys de Narváez, dont j'ai changé les paroles afin qu'elles s'adaptent au film. Ils l'ont aimée et m'ont alors contactée pour apparaître dans le film. On peut m'y voir pendant une seconde et demie chanter la chanson aux côté d’Al Pacino. C'était très émouvant d'avoir un tel acteur en face de soi. Le studio n’était autre qu’un énorme entrepôt au Luxembourg où avait été conçue une réplique exacte à l'échelle de Venise, avec un sol artificiel. Il suffisait de passer la porte de l’entrepôt pour se retrouver à Venise !
Ces diverses incursions dans la musique de film vous donnent-elles envie de poursuivre dans cette voie ? Avez-vous d’autres projets en vue ?
Bien sûr ! J'aimerais participer à d’autres musiques de film et j'espère que je pourrai travailler à nouveau avec James Horner, même si le plus important à mes yeux reste ma propre musique. C’est d’ailleurs parce que j’ai envoyé mon dernier disque que l’on m’a choisie pour Le Seigneur Des Anneaux. Je me sentais très fière de pouvoir envoyer mon propre album. Je considère donc qu’il très important de combiner ces deux types de travail, car sans mes propres projets je n’aurais pas autant d’écoute ni de force.
Ce n’est sans doute pas un hasard si votre chemin croise celui de James Horner, compositeur qui se distingue par son attachement à l’héritage musical, la transmission et la fusion des influences à travers un style propre. Vous reconnaissez-vous d’une certaine façon dans cette approche de la musique ?
Oui, totalement. Je crois qu'il y a eu une connexion immédiate entre nous deux. Je ne le connais pas en tant que personne mais je reconnais quelque chose dans sa musique et en lui qui me ressemble. C'est un grand cadeau que nous avons, en tant que musicien, de pouvoir faire de la musique tout en ayant ce merveilleux feeling avec quelqu'un.
Si vous deviez résumer en quelques mots la musique de James Horner pour For Greater Glory, que diriez-vous ?
Je suis très impressionnée par le thème et les variations qu'il obtient avec l'orchestre. Je l'ai eu en tête pendant des mois après l'enregistrement. Je chante et j'écoute de la musique tous les jours et j'ai toujours à l'esprit la dernière musique que j'ai écoutée. Mais le thème de James Horner était toujours présent des semaines après. Il m'a envoyé un message très sympa pour me remercier et je lui ai répondu : "Je dois vous dire qu'un mois après, je suis toujours en train de chanter votre musique ! " .
Nos sincères remerciements à Clara Sanabras pour le temps qu'elle nous a consacré. En espérant la retrouver prochainement sur une nouvelle musique de James Horner…