Le 20 septembre 2012
Fievel Et Le Nouveau Monde (An American Tail) (1985) et Le Petit Dinosaure Et La Vallée Des Merveilles (The Land Before Time) (1988) font partie des musiques qui ont marqué la carrière de James Horner. Les auteurs de ces deux dessins animés (Don Bluth, le réalisateur et Gary Goldman, le producteur) reviennent sur la création de ces deux partitions incroyables.
Sur Le Secret De NIMH, vous aviez collaboré avec Jerry Goldsmith. Pourquoi avoir choisi de travailler avec James Horner pour vos deux films suivants, Fievel Et Le Nouveau Monde et Le Petit Dinosaure Et La Vallée Des Merveilles ?
Gary Goldman : A l’époque, en 1982, Jerry et moi étions devenus de bons amis, pendant les quinze semaines qu’il avait passées à composer la musique du Le Secret De NIMH. C’est Jerry qui avait encouragé Steven Spielberg à voir ce film. Steven nous avait alors appelés pour nous emprunter notre copie studio du film et sa réaction fut extraordinaire. Après l’avoir visionné pour lui-même, pour Kathleen Kennedy et pour Frank Marshall, il nous a conviés dans ses bureaux à la Warner Bros. Lors de cette réunion, il nous confia : « je croyais que ce style d’animation avait disparu avec Walt Disney dans les années 60. » En raison de son enthousiasme pour l’histoire du film, pour l’animation et la bande sonore, Steven nous proposa de collaborer ensemble sur un dessin animé. Presque deux ans plus tard, plus exactement en décembre 1984, Steven nous appela pour nous faire savoir qu’il pensait avoir trouvé un bon projet à produire. A ce moment-là, quand nous développions Fievel Et Le Nouveau Monde, au tout début de 1985, nous voulions demander à Jerry Goldsmith de composer la musique. Nous avions même eu une réunion avec Steven et Jerry dans les nouveaux bureaux Amblin de Steven. Environ deux semaines après cet entretien, Jerry demanda une seconde réunion. Une réunion pour s’excuser d’avoir accepté l’engagement. Il révéla qu’après en avoir discuté avec son agent, ce dernier lui avait informé que son agenda de composition pour 1986 était déjà trop rempli pour lui permettre d’écrire le score de Fievel. A l’issue de ce rendez-vous, nous avions immédiatement commencé à parler du travail de James Horner et nous étions convaincus qu’il fallait l’approcher. Ce qui est étrange, c’est qu’en 1981, juste après avoir engagé Jerry Goldsmith pour faire Le Secret De NIMH, l’agent de James Horner, Michael Gorfaine, nous avait appelés et demandés si nous voulions une cassette d’extraits de musique de James Horner, dans l’optique qu’il compose la musique de notre film. Je lui ai répondu que nous avions déjà signé un contrat avec Jerry Goldsmith, ce à quoi il contra par un « Jamie est le nouveau Jerry Goldsmith, et beaucoup plus économique. » Il nous a fait parvenir la cassette au studio, nous l’avons écoutée et ce Monsieur Gorfaine avait raison : James Horner est extrêmement doué. Cependant, l’affaire était déjà conclue avec Jerry.
Les partitions de James sur Fievel Et Le Petit Dinosaure sont des œuvres d’art uniques. Après la sortie de Fievel, Jerry m’a souvent appelé pour s’excuser de ne pas avoir été plus arrangeant avec nous sur ce film. Il m’a fait part que les projets sur lesquels il s’était engagés n’était nullement aussi créatifs que Fievel.
Quelles consignes aviez-vous données à James Horner pour exprimer l’immigration et la diversité des cultures dans Fievel ?
Don Bluth : Lorsque nous avons pointé les séquences à mettre en musique dans la salle de montage de Steven, nous avons évoqué les instruments et les thèmes pour chacun des personnages. J’avais sélectionné une musique temporaire (à partir de 33 tours de diverses musiques de films), dont la majeure partie provenait des travaux de James Horner, mais aussi de ceux de John Williams, de Jerry Goldsmith, d’Ennio Morricone, d'Erich Wolfgang Korngold et bien d’autres. A cette occasion, j'ai verbalisé quelle émotion nous souhaitions ressentir dans chaque séquence du film. J'étais sûr qu’il savait quoi faire sans mon influence, mais c’est à cela que servent les séances de « spotting ». Elles permettent de construire une collaboration et, pour le compositeur, de comprendre les idées des producteurs et du réalisateur au fur et à mesure du déroulement de l’histoire.
En combien de temps la partition de Fievel a-t-elle été composée ?
Gary Goldman : Je crois que James a eu quinze semaines pour écrire le score. De plus, il a eu du temps au début de la production pour collaborer avec Barry Mann et Cynthia Weil sur les chansons. Il fallait qu'elles soient enregistrées suffisamment tôt dans la production du film afin d’animer les personnages en fonction des paroles et du rythme des chansons.
Qui a choisi d’enregistrer à Londres avec le London Symphony Orchestra ?
Gary Goldman : James. Il avait déjà eu une bonne expérience avec eux ainsi qu'avec les studios Abbey Road.
James Horner a choisi un solo de violon pour représenter le père de Fievel et un chœur doux pour dépeindre la tristesse de Petit Pied après la mort de sa mère. Pouvez-vous nous dire comment ces deux idées ont été développées ?
Don Bluth : James est quelqu’un de sensible, de créatif et d’intuitif. En visionnant la copie de travail du film, avec les dialogues et la musique temporaire, quelques questions avaient été soulevées. L’idée d’écrire des thèmes liés aux personnages et permettant de les identifier, et éventuellement l’idée de l’instrument qui décrit au mieux la personnalité de chaque personnage, ce n’est pas quelque chose de nouveau dans la musique de films. C’est d’autant plus fréquent dans les dessins animés. J’ai quelques rudiments en musique, donc je pense que James et moi parlions la même langue. Ces idées ont donc été développées et validées pendant les sessions de « spotting ». Bien entendu, quand James a regagné son studio, cela a donné naissance aux somptueuses partitions que nous connaissons.
En quels termes avez-vous demandé à James Horner d’évoquer musicalement le fait que les personnages regagnent confiance grâce à l’amitié et la fraternité ?
Don Bluth : Je suppose que vous parlez du Petit Dinosaure. J’essaie de ne pas aller trop loin dans la description des sentiments voulus. Ce que j’espère en revanche, c’est que ce que nous avons mis à l’écran évoque les sentiments (en même temps que la musique temporaire que j’ai sélectionnée), mais il y a quand même des discussions philosophiques et évidemment, la piste musicale doit soutenir et/ou renforcer le propos de la scène. Nous pensons de même à propos de l’utilisation de la couleur. L’histoire est la plus importante et la musique rapporte également toutes les ambiances de cette histoire. James comprend ceci et je dirais qu’il n’a pas vraiment besoin d’être orienté.
A propos des chansons de Fievel, pouvez-nous parler de leur processus de création ?
Don Bluth : Pour les chansons, Amblin a engagé Barry Mann et Cynthia Weil, un duo d’auteurs de chansons qui avait une longue liste de tubes à leur répertoire. Nous devions nous concerter sur le choix des emplacements les plus appropriés des chansons, afin qu’elles divertissent sans pour autant interrompre le fil de l’histoire. Au fil de nos discussions, il s'est avéré que les paroles devaient faire avancer l’histoire ou aider à décrire la personnalité des personnages. Cynthia et Barry ont travaillé ensemble avec James pour écrire There Are No Cats In America, Never Say Never, Somewhere Out There et A Duo. Barry et James ont trouvé les mélodies et Cynthia a ajouté les paroles. La première fois que nous nous sommes rencontrés, nous avons discuté des sections du scénario où nous voulions insérer les chansons. Chaque situation de chanson était différente : Somewhere Out There servait à montrer que Fievel et sa sœur Tanya s’aimaient et se manquaient beaucoup. Ils ne le savaient pas, mais ils étaient tous deux dans la même ville et ignoraient où l’autre pouvait se trouver. Never Say Never correspond à une séquence entre Henri, le pigeon français qui trouve le petit Fievel à Ellis Island, où l’on est en train de dresser la Statue de la Liberté. Fievel a été séparé de sa famille, ce qui le rend triste et pessimiste. Henri remonte le moral de Fievel avec cette chanson. There Are No Cats In America est un hymne renforçant la croyance de la non-existence des chats dans le nouveau monde. Les Chats de Russie étaient un symbole d’oppression qu’ils ont endurée dans leur pays. Cette chanson, c’est l’espoir d’être libéré de cette oppression. Elle est chantée par plusieurs souris qui ont émigré et qui partagent leurs pénibles expériences en invoquant un brillant avenir sans chat en Amérique. Tout comme dans A Duo, quand Fievel et Tiger, le chat, pas si féroce, se rencontrent et découvrent qu’ils ont beaucoup d’atomes crochus. A la fin de la chanson, ils sont copains.
Après quelques semaines, nous nous sommes réunis de nouveau avec les auteurs des chansons. Cette fois, James, Cynthia et Barry étaient là pour interpréter Somewhere Out There et There Are No Cats In America. Les chansons n’étaient pas finies, c’était juste une audition, avec James au piano, chantant avec Cynthia et Barry. Il n’y a pas eu un commentaire négatif sur l’une ou l’autre des chansons. En fait, Somewhere Out There a même suscité l’enthousiasme de tous. Nous avons tous adoré la chanson. Steven a également pensé que cette chanson pourrait être un tube.
Le Petit Dinosaure Et La Vallée Des Merveilles figure parmi les BO les plus appréciées par les visiteurs de notre site. Elle est souvent considérée comme une large symphonie inspirée par les grands noms du répertoire (Prokoviev, Bartok, pour ne citer qu’eux). Que pensez-vous personnellement de cette œuvre ?
Gary Goldman : Les noms de ces grands compositeurs sont tous très connus de James. La musique du Petit Dinosaure dépeint magnifiquement les moments émotionnels du film. Nous en sommes très fiers.
En fait, quand je repense à l’enregistrement de cette oeuvre, je me souviens que James était épuisé après avoir terminé Cocoon, je crois. Il avait quelque chose comme cinq films à faire cette année-là (1988), et le score de Cocoon (Le Retour – NDT) avait demandé plus de temps, réduisant celui alloué au Petit Dinosaure de douze à juste quelques semaines seulement. De plus, nous enregistrions à Londres, aux studios Abbey Road, donc non seulement le délai était raccourci, mais en outre il devait faire avec le décalage horaire. C’est fou qu’il ait pu s’en sortir en si peu de temps.
Comment est-ce humainement possible d’écrire une œuvre symphonique de cette ampleur (90 minutes de musique environ, non ?) en si peu de temps ?
Gary Goldman : Et bien tout d’abord, Le Petit Dinosaure ne contenait pas de la musique d’un bout à l’autre et ce n’était pas non plus un film de 90 minutes. Au début nous avions prévu que le film fasse 82 minutes au total, cependant il a subi plusieurs coupes et montages, le réduisant à 73 minutes avant les sessions de spotting avec James et Steven Spielberg. La durée définitive du film était de 69 minutes (comme le Bambi de Disney). Néanmoins, c’était tout de même un travail colossal. Et je me souviens bien que James nous avait fait part de ses difficultés à respecter les dates d’enregistrement, tout en donnant suffisamment de temps aux copistes afin qu’ils préparent à temps les orchestrations pour les musiciens. Il a fallu enregistrer des sessions supplémentaires chaque soir pour boucler toutes les pistes musicales. James était déjà épuisé avant le début des enregistrements et l était éreinté à la fin, mais le résultat s’est avéré absolument magnifique.
Avez-vous des anecdotes à propos des sessions d’enregistrement des deux scores ?
Gary Goldman : Il y en a quelques-unes. Notamment quand nous nous sommes tous rencontrés avec James, Barry et Cynthia sur Fievel, pour présenter les deux chansons Somewhere Out There et There Are No Cats In America. Ils avaient commencé par Somewhere Out There, puisque la mélodie de cette chanson allait être un thème-clé et, avec un peu de chance, un tube diffusé à la radio. James a commencé à jouer au piano, superbement, avec beaucoup d’éclat et de notes complexes. Alors Barry l’a interrompu et lui a dit : « faisons simple… », et en se penchant par-dessus l’épaule de James, a ajouté : « … un peu comme ça », puis avec son index joua les cinq premières notes de la mélodie, une note à la fois. Cet épisode nous avait remémoré le commentaire d’Antonio Salieri, dans le film Amadeus, à propos de la musique de Mozart : « beaucoup trop de notes ». Tout le monde avait bien ri, y compris James. James a assumé et Cynthia a chanté la chanson, qui a récolté les éloges de tous, notamment Steven qui a prédit que ce serait un tube. Et ça a bien été un tube !
Lorsque nous sommes arrivés à Abbey Road le jour de l’enregistrement, Don et moi avions décidé de nous asseoir avec l’orchestre, au lieu d’observer depuis la cabine de contrôle. Nous nous sommes donc assis derrière les deux harpistes. C’est étonnant ce que peuvent se raconter les musiciens. On pourrait croire qu’ils pensent en termes de musique et qu’ils discutent de leurs interprétations et de la magie du score de James Horner. Mais en fait, dans les intervalles entre les répétitions, ils parlaient de refaire leurs salles de bains et leurs cuisines et ils évoquaient les difficultés rencontrées avec les entrepreneurs. Peut-être que la profession au quotidien de musicien de studio n’était qu’un job et pas une passion. A un moment donné, les deux harpistes se sont retournés vers nous et ont demandé à Don de signer leurs exemplaires d’un livre sur la harpe que l’oncle de Don avait écrit il y a des années et que Don avait illustré quand il avait à peine 16 ans. Don avait complètement oublié qu’il l’avait illustré. C’était une agréable surprise.
Sur Le Petit Dinosaure, en tant que producteur, j’étais constamment en état de panique, en raison du court délai d’écriture de la musique et de reproduction des partitions, en plus des sessions supplémentaires qui n’étaient pas prévues. Tout ce qui me venait à l’esprit, c’était qu’on dépassait le budget alloué à la musique. Finalement, le président de MCA Music Company me réconforta en me disant de ne pas m’inquiéter pour les coûts supplémentaires, que MCA les couvrirait. C’est seulement à partir de ce moment que je me suis relaxé et que j’ai pu commencer à apprécier la créativité de James et faire attention aux détails et à la perfection de l’interprétation de l’orchestre.
Pourquoi votre collaboration s’est-elle arrêtée après Le Petit Dinosaure ? Avez-vous tenté de travailler de nouveau avec lui sur d’autres projets par la suite?
Gary Goldman : Nous avions un contrat pour deux films avec Universal et Steven Spielberg. Nous avons eu quelques difficultés en ce qui concerne la musique de nos films suivants. Tout d’abord, James est devenu de plus en plus sollicité et, par ailleurs, il y a eu des complications avec Universal/Amblin dans les négociations du budget de la suite de Fievel et finalement, nous ne l’avons pas fait. James, lui, en a composé la musique. Pour ce qui est de nos films suivants, c’était des problèmes de délais. Le planning de James ne correspondait pas avec nos plannings de post-production, ce qui nous a empêchés de travailler à nouveau avec lui.
Gary Goldman : Nous avions un contrat pour deux films avec Universal et Steven Spielberg. Nous avons eu quelques difficultés en ce qui concerne la musique de nos films suivants. Tout d’abord, James est devenu de plus en plus sollicité et, par ailleurs, il y a eu des complications avec Universal/Amblin dans les négociations du budget de la suite de Fievel et finalement, nous ne l’avons pas fait. James, lui, en a composé la musique. Pour ce qui est de nos films suivants, c’était des problèmes de délais. Le planning de James ne correspondait pas avec nos plannings de post-production, ce qui nous a empêchés de travailler à nouveau avec lui.
Qu'avez-vous retenu de votre collaboration avec James Horner ?
Don Bluth : James est un compositeur accompli et sensible et ce que je retiens, c’est qu’il travaille sans relâche pour fournir le meilleur score possible. Sur Le Petit Dinosaure, il était épuisé mais toujours prêt à travailler la nuit, si nécessaire, pour tirer le meilleur de l’orchestre et de la chorale. Il est fiable.
Don Bluth : James est un compositeur accompli et sensible et ce que je retiens, c’est qu’il travaille sans relâche pour fournir le meilleur score possible. Sur Le Petit Dinosaure, il était épuisé mais toujours prêt à travailler la nuit, si nécessaire, pour tirer le meilleur de l’orchestre et de la chorale. Il est fiable.
Avez-vous suivi ses projets par la suite ? Que pensez-vous de l’évolution de sa carrière et de sa musique ?
Don Bluth : Non, je n’ai pas suivi sa carrière, mais je connais beaucoup de ses musiques pour avoir vu les films, soit au cinéma, soit dans les copies promo que nous envoie l’Académie des Oscars chaque année à des fins de nominations et de vote. Il ne fait à mon sens que s’améliorer.
Pensez-vous que James Horner a apporté quelque chose aux musiques de cinéma d’animation, quelque chose qui diffère des musiques des films Disney par exemple?
Gary Goldman : Absolument ! James possède cette qualité que beaucoup ont trouvé similaire à celle de Jerry Goldsmith. L’approche de James est sérieuse, avec l’idée d’un grand score épique, tout en faisant attention aux petits détails, comme les effets divertissants qui accompagnent les pérégrinations des protagonistes et en développant des thèmes propres à chaque personnage. C’est somme toute quelque chose de banal dans l’animation, mais James le fait avec un style qui n’est pas du mickey mousing.
Que pensez-vous des films d’animation d’aujourd’hui ?
Don Bluth : Je suis plutôt mitigé. C’est surtout l’histoire qui m’intéresse. Si l’histoire ne m’interpelle pas, ça m’est plutôt égal. Je ne suis pas non plus un grand fan des animations faites par ordinateur. On dirait que les personnages ressemblent à des marionnettes ou des animations de pâte à modeler. Les films conçus à partir de vrais dessins faits à la main me manquent. Cependant, quelques films de Pixar sont très réussis. Ceux qui m’ont le plus impressionné sont Le Monde De Nemo, Monstres Et Cie, les quarante premières minutes de Wall-E, Les Indestructibles et Ratatouille. Oh, et puis Raiponse de Disney. Mais j’aimerais bien revenir à l’animation faite main.
Merci à ce talentueux duo pour leur accessibilité et le temps qu'ils ont bien voulu consacrer à répondre à nos questions.