[divider]21 Mai 2011 – 02 Octobre 2012…[/divider]
Cinq cent jours exactement se seront écoulés entre la fin de l'enregistrement de la musique de For Greater Glory et la sortie de l'album chez Varèse Sarabande. Dix-sept mois… Une éternité pour tous ceux dont la curiosité avait été alpaguée par les propos ô combien alléchants du réalisateur du film Dean Wright, lorsqu'il revenait sur la découverte de la partition composée par James Horner pour son film.
« Lorsque j'ai entendu pour la première fois James jouer au piano les thèmes du film, j'ai su alors que ça allait être extraordinaire, mais je dois dire que je n'aurais jamais imaginé à quel point elle serait spectaculaire, parce qu'il a créé là l'un de ces rares moments de magnificence qui nous laissent sans voix».
A l'époque de nombreuses personnes se sont sans doute questionnées sur l'objectivité du réalisateur. Amoureux de son premier film et admirateur du compositeur, il paraissait naturel qu'il enjolive quelque peu les événements. D'autant plus qu'il en rajouta au cours des sessions d'enregistrements :
« Je sais qu'il m'est impossible d'être objectif, mais j'ai travaillé sur Titanic et j'adore toutes les musiques de James (Braveheart, Apollo 13, Field of Dreams, etc, etc.), et ceci est sa musique la plus expansive, la plus passionnante et la plus émouvante. Elle est en tout point parfaite. Ce n'est pas seulement son oeuvre la plus belle (à mon humble avis), mais il s'agit de l'une des plus belles musiques jamais produites pour un film. Je n'exagère pas, et je suis impatient que tout le monde puisse bientôt découvrir cette oeuvre ! »
Dean Wright et James Horner en mai 2011 aux studios Abbey Road à Londres
Courtesy of NewLand Films
Malheureusement, aucun distributeur ne s'aventura les mois qui suivirent à donner une chance au film d'être vu et à la musique de se faire connaître du public comme le souhaitait Dean Wright. Lors de la projection au Vatican en mars 2012 le producteur du film Pablo Jose Barroso déclara :
« La difficulté que j’ai à trouver une maison de distribution qui veuille bien s’occuper de distribuer ce film reste pour moi un mystère. Nous nous sommes adressés à toutes les plus grandes maisons de distribution du cinéma, conformément aux pratiques en cours, en ne négligeant rien. Nous étions persuadés que la qualité technique parfaite du film, son histoire convaincante, la qualité de sa distribution de par la présence d’acteurs de renommée mondiale dans les rôles principaux nous seraient favorables et malgré tout cela nous n’avons rien obtenu pendant des mois hormis des obstacles ».
Finalement après une sortie remarquée au mois d'avril au Mexique et plus discrète début juin aux États-Unis, For Greater Glory : The True Story Of Cristiada est sorti en DVD et Blu-Ray le 11 septembre dernier avec des sous-titres anglais et espagnols. Vraisemblablement handicapé par sa thématique pro-catholique le film ne connaîtra jamais de sortie internationale.
Mais il suffit de regarder la filmographie de James Horner pour noter que l'anonymat d'un film n'est pas un obstacle pour apprécier sa musique. La Seconde Chance (1996), Par Amour Pour Gillian (1996), Iris (2001), The House of Sand and Fog (2003), Bobby Jones : Naissance d'une Légende (2004) autant de films qui ne sont jamais sortis sur les écrans français et dont les bandes-originales ont pourtant su conquérir nos cœurs et se détacher du support filmique pour lesquelles elles étaient conçues. N'est-ce pas là tout le talent du compositeur que de savoir créer une musique qui arrive à s'accorder non seulement avec les scènes d'un film mais également avec un sentiment, une époque de notre vie ?
Une déflagration musicale.
« Le bonheur, c’est l’attente, l’attente heureuse, la confiance ; C’est un horizon plein d’espérance, c’est le rêve. » (Guy de Maupassant. Souvenirs – 1884).
En ces derniers semaines d'été nous avons vécu un rêve. Alors que nous commencions à douter sur la possibilité d’écouter un jour la musique composée pour For Greater Glory en dehors de son support filmique, Varese Sarabande nous a fait le cadeau d’éditer sur disque la partition de James Horner. Nous allions enfin savoir si le discours et l'enthousiasme de Dean Wright étaient justifiés, si James Horner avait réalisé une nouvelle fois l'exploit de repousser les limites de l'émotion et de la musique orchestrale. Quand l'attente prit fin, entre l'espérance et l'inquiétude, entre la confiance et la méfiance, les quelques secondes qui suivirent l’insertion du disque de For Greater Glory dans la platine n'eurent qu'un seul résultat : prolonger ce rêve. Inutile en effet de tourner autour du pot, la première écoute constitua un choc musical rare, invraisemblable et fascinant. Un choc sans doute facilité par l'endormissement provoqué par ces longs mois d'attente, par une ankylose relative de notre sens auditif depuis les aventures de l'homme araignée. Mais un choc tout de même, au terme de 78 minutes de frissons provoqué par un compositeur en état de grâce.
Comment alors sortir indemne d'une telle maîtrise? Comment après avoir connu une telle déflagration musicale pouvons-nous faire semblant de passer à autre chose et continuer sereinement nos activités quotidiennes ? Après le premier vol dans les cieux de For Greater Glory, il est en effet difficile de ne pas vouloir y retourner, simplement pour être sûr de ne pas avoir rêver et s'assurer que cette perfection, ce nouvel aboutissement existent réellement.
Les jours passent alors en même temps que les écoutes avec la nécessité d'essayer de comprendre les raisons de ce nouveau miracle signé James Horner. Tout d'abord il faut souligner le parfait équilibre crée entre les trois majestueux thèmes principaux qui composent la partition. Dans notre article For Greater Glory : la gloire importe peu, nous avions déjà évoqué la place tenue par ces derniers. Du poème tragique magnifié par Clara Sanabras, nouvelle muse hornerienne ; du thème romanesque hérité de Frères Du Désert autre choc musical par excellence, et de cette mélodie ascensionnelle et sensationnelle, émanent un ensemble cohérent et solide qui laisse pantois. Difficile en effet de faire la fine bouche face à tant de contenu mélodique et thématique, d'autant plus que les interprétations se voient à chaque fois agrémentées de nouvelles nuances et variations. Par exemple du poème en catalan écrit de sa propre main, James Horner arrive à éviter toute psalmodie et ce malgré ses multiples apparitions tout au long de l'album. Il arrive même à le rendre enjoué dans les parties folkloriques de « We Are Cristeros. »
Puis nous ne pouvons pas faire l'impasse sur la perfection des orchestrations qui n'oublient aucune famille d'instruments. Chacune semblent d'ailleurs avoir son moment d'expression : les bois dans la première partie de The Death Of Padre Christopher, les cordes au cours du langoureux Goro And Tula, les cuivres et les percussions dans les scènes de tension (Ambush, Cristeros). Le tout est soutenu par les chœurs du London Voices (An Americain Tail, Enemy At The Gates) qui ondulent entre des tonalités agressives (« We're Cristeros Now »), plaintives (The Dead City) ou encore épiques (Cristeros). L'orchestre, quant à lui, regroupe les meilleurs musiciens de Londres dont une partie du London Symphony Orchestra et signe une performance aussi claire que soignée.
Enfin il ne faut pas oublier le don de James Horner pour la narration. Il a construit pour l'album une succession parfaite de tableaux dramatiques. Certes nous trouverons toujours des morceaux plus appréciés que d'autres mais durant l'écoute il n'existe aucun creux, aucun vide il se passe toujours quelque chose. Même les moments de calme nous offre des instants hypnotiques tel ce solo de cor dans José Saves Catorce (1'36) un des plus longs et des plus beaux de sa carrière. Cette régularité dans la qualité est assez rare de nos jours surtout quand le disque affiche près d'une heure vingt au compteur. De l'introduction à la conclusion James Horner réalise le miracle d'articuler les idées musicales en les reliant toujours avec élégance et pertinence. Avec For Greater Glory il rend une copie de haut niveau et excelle une nouvelle fois dans l’enchaînement des émotions.
Résumons nous : des thèmes magnifiques dépeints au travers de phrasés et de couleurs variés, une technique orchestrale et vocale sans faille résultat d'une expérience de trois décennies à la tête d'ensembles symphoniques, une structure narrative sans aucun déséquilibre. La somme est l'un des plus beaux tableaux de son auteur qu'il ne vous faut rater sous aucun prétexte.
[divider]Propagez donc la bonne nouvelle ![/divider]
« La musique est une pompe à gonfler l'âme » (Milan Kundera. L’immortalité – 1990).
Devant une telle maestria, le temps n'est pas à la dissection bien dérisoire finalement. Elle viendra plus tard quand le choc sera passé. Le temps est à l'écoute, à la magie de la rencontre entre votre âme et la musique. Toutefois afin d'accompagner au mieux cette communion nous avons séléctionné quelques morceaux choisis (attention aux révélations sur l'histoire du film).
0'00 – 1'06
Instant poétique par excellence: accompagnée d’un orchestre tout acquis à sa cause, la voix de Clara Sanabras transperce littéralement le ciel. Les vers du poème apparaissent en parfaite synchronisation à l'écran.
Piste 3 : 0'23 – 0'47
Des chœurs percutants et des guitares endiablées, version plus ténébreuse mais toute aussi désinvolte de Zorro, accompagnent l’apparition du légendaire "Catorce", lequel se débarrasse sans pitié d'une troupe de fédéralistes.
Piste 4 : 2'57 – 4'03
L'orchestre interprète une version délicate et tendre du thème "Entre La Luz Y El Pecado".
Enrique Gorostieta promet à sa femme Tula de revenir vivant du conflit qu’il a décidé de mener. L’apaisement comme point de non retour vers un destin déjà en place.
Piste 6 : 1'00 – 2'22
Une cloche funeste, des chœurs plaintifs, des cordes sombres…
Les Cristeros enterrent un village entier, décimé par l'armée fédérale. Justesse et simplicité du discours musical.
Piste 7 : 1'43 – 2'43
Le général définit la notion de liberté et motive ses troupes avant une journée de bataille déterminante.
James Horner cite judicieusement Braveheart et son hymne à la liberté. Les cors répondent à la clarinette dans un dialogue empli d’espoir et de sérénité, qui navigue sur un matelas de cordes dont les couleurs opaques ne laissent planer aucun doute sur le prix à payer pour cette quête de la liberté.
Piste 8 : 1'35 – 2'42
Lors d'un combat mal engagé, le jeune José laisse son cheval à Catorce pour qu'il puisse continuer à se battre. Une fois le calme revenu, celui-ci tente le retrouver le garçon. Un solo de cor magnifique accompagne la solitude et les premiers regrets du cavalier quand il comprend que José a été fait prisonnier.
Piste 9 : 0'00 – 2'10
Les Cristeros attendent l'entrée des troupes fédérales dans un village pour les prendre à revers.
Moment de tension et d’énergie extrême, accelerando fulgurant qui replonge et prolonge la furia de Troie, les quatre notes défigurées en filigrane. Performance chorale saisissante qui réinvente à bon escient les clameurs tribales héritées d’Avatar. Tout est lié et relié dans un maelström vertigineux de folie meurtrière et de foi irrépressible, telle l’union désespérée du profane et du sacré.
Piste 10
Renversement chronologique au profit de la cohésion musicale. Les femmes porteuses de munitions risquent d'être démasquées lors d'un voyage en train. James Horner reprend des couleurs déjà développées dans Les Disparues et qui mettaient en avant un acte héroïque accordé au féminin. Fougue, angoisse et détermination qui ne laissent place à aucune faille orchestrale alors même que la peur tenaille les protagonistes. Plus que jamais, la virtuosité n’a d’autre raison d’être que de soulever la charge émotionnelle et donner aux personnages la force nécessaire.
Piste 11 : 1'55 – 3'25
Sommet de la musique dans son rapport à l’image, dénué de tout bruitage et dialogues encombrants. Le réalisateur fait une confiance aveugle au pouvoir de la émotionnel et spirituel de la musique, et pour quel résultat… Les percussions, la voix de Clara Sanabras et les chœurs à l'unisson accompagnent le "chemin de croix" de José avec une intensité rarement atteinte dans l’histoire de la musique de films. La tragédie est à son comble et si le compositeur déverse toute sa rage et sa souffrance, si l’image et la musique en osmose transcendent l’injustice et l’horreur, cette création unique ne se départit jamais d’une extrême dignité. La voix de l’ange succède à la celle de l’épouvante. Ou comment exacerber les émotions et fustiger la folie des hommes avec une pudeur salvatrice.
Piste 12 : 0'00 – 1'35
Le général arrive trop tard pour sauver José. L’heure est au recueillement et la voix de Clara Sanabras ne fait plus que bercer et consoler. L’orchestre se retire pour laisser place à un effectif instrumental minimal. Déchirante sans être larmoyante, à l'image d'un "Unable To Stay, Unwilling To Leave" (Titanic), la musique accompagne seule les images en imposant un silence de mort. La foi vacille et l’espoir s’éloigne.
Piste 13 : 3'46 – 7’14
La renaissance vécue à travers la révélation de sa propre foi, dans les hommes plus que dans les idées, et le courage élevé au rang d’allégresse macabre. La mort des braves et le sacrifice des justes inspirent comme souvent à James Horner une chevauchée épique (le général évacue ses troupes) d’une fluidité toute aérienne, comme suspendue entre deux mondes. Les cuivres et les chœurs engagent une danse du feu et de l’eau qui prend aux tripes. Musicalement jubilatoire, émotionnellement épuisant… jusqu’au coup de cymbales libérateur.
Piste 14 : 3'50 – 5'00
La flûte de Tony Hinnigan enclenche la dernière variation du thème ascensionnel qui se conclut par une envolée majestueuse des chœurs et de l'orchestre. Une véritable élévation (l’aspect ascensionnel du thème ne doit rien au hasard) qui rend le plus bel hommage possible à la mémoire des victimes sacrifiées sur l’autel de l’intolérance et du pouvoir. La peinture des émotions repose sur un équilibre harmonique tout dévoué au souvenir et à la compassion.
Le miracle a eu lieu, le compositeur nous revient avec une œuvre grandiose qui aurait du être entendue par le plus grand nombre. De par sa puissance émotionnelle et sa technicité, For Greater Glory soulève la musique de films à un degré trop peu souvent atteint. C'est une immense partition qui pourrait aisément rejoindre le céleste Mission d'Ennio Morricone au panthéon de la musique pour le cinéma. Certains pourront trouver le parallèle exagéré. Pourtant celui-ci est cohérent au regard des similitudes qui relient les deux partitions : ce sont deux histoires chrétiennes, les compositeurs avaient tous les deux cinquante-sept ans lors de la conception, les mêmes chœurs (London Voices) et le même flûtiste (Tony Hinnigan) ont été conviés à transcender les thèmes.
« Je reçois d'innombrables scénarios et je recherche toujours celui qui m'apportera ce dont j'ai besoin à un moment donné » Le film For Greater Glory apporta à James Horner une liberté rare portée par la confiance totale du réalisateur Dean Wright. Il a ainsi pu atteindre le but qu'il s'est toujours fixé : partager sa croyance dans le pouvoir de la musique à remplir les cœurs et à élever les âmes.
Bibliographie :
James Horner ou la fusion des quatres plumes. Par Jean-Christophe Arlon. Dreams Magazine.
Sitographie :
http://francejeunessecivitas.hautetfort.com/archive/2012/05/17/ils-essaient-de-liquider-le-film-cristiada-qui-sont-ils.html