Un grand merci à Intrada et à Regina Fake de nous avoir permis d'écrire cet article dans les meilleures conditions possibles.
« Il n'y a pas de chef d’œuvre absolu. Pour ma part, j'aime beaucoup Cocoon, In Country et The Spitfire Grill. »1 James Horner (1998).
Nous ne remercierons jamais assez Douglass Fake et Roger Feigelson d'avoir enfin édité cette partition tant aimée du compositeur et qui depuis 1989 manquait cruellement à nos discothèques. Depuis deux décennies, nous vivions avec la certitude que la brillante musique du film de Norman Jewison méritait une édition discographique digne de son nom. Les deux artisans d'Intrada mettent donc un terme salvateur à une bien longue attente et réchauffent par la même occasion nos cœurs frigorifiés par l'hiver.
Sorti en France sous le titre Un héros comme tant d'autres, In Country narre les difficultés d'un vétéran du Vietnam (Bruce Willis) à s’occuper de la fille de son frère mort au combat. Sur une thématique similaire à celle d'un autre film sorti la même année, Né un 4 juillet (Oliver Stone) ou encore de The War At Home (Emilio Esteves, 1996), Norman Jewison tisse une nouvelle version sur le thème du retour à la vie. Ce dernier long-métrage partage d'ailleurs avec In Country un autre point commun : tout comme James Horner, le compositeur Basil Poledouris avait misé sur une musique intime et mélodique pour accompagner l’itinéraire des personnages tourmentés par la guerre. Connu pour changer régulièrement de compositeur, le réalisateur Norman Jewison fait alors le choix de celui qui, au crépuscule des années quatre-vingt, avait déjà imprimé la musique de films de sa vision.
Ce versant essentiel de son œuvre s’épanouit ici à merveille. En effet, si nous excluons son introduction et son final interprétés par un grand orchestre, et encore avec une retenue certaine dans son lyrisme, une pudeur salutaire devant le souvenir et la mort, In Country se recentre pour le reste sur un petit ensemble d'instruments. Les sessions d'enregistrements se déroulèrent d’ailleurs en deux temps : fin mars 89 aux CBS Radford Studios et mi-avril avec le grand orchestre au Burbank Studios. A l’image des partitions composées la même année pour Mon père (Dad) et Jusqu'au bout du rêve (Field of Dreams), James Horner s’efface devant le sujet pour mieux le transcender, ceci en respectant l’aspect cyclique de son travail. Chaque partition est unique et s’inscrit à la fois dans un schéma créatif global.
In Beauty
Le premier contact avec In Country ne laisse pas indifférent. Un premier regard qui subjugue et qu'il est difficile d'oublier. Le constat est simple : cette musique est belle. Qu'est ce qui lui vaut cet adjectif ? La réponse se trouve dans les subtiles orchestrations de James Horner et de Greig McRitchie, à un enregistrement qui a su capter toutes les nuances de celles-ci. Ces qualités redonnent une place plus digne à cette partition dans la discographie du compositeur, comme si son absence nous avait amené à la négliger quelque peu. Rien ne remplacera, décidément, l’envergure d’une édition discographique pour réellement mettre en valeur une musique de film, dans la mesure où elle sait se préserver une seconde vie hors de l’écran.
Une trompette, un zeste de percussions puis un subtil arpège de harpe qui annonce l'entrée des cordes… L’ouverture de l'album résume toute l'élégance qui émane des orchestrations et les soins apportés à la prise du son. James Horner a écrit pour In Country une musique pudique à l'image du jeu des bois (bassons à 2’29, clarinette et hautbois à 2’44) dans Faraway Thoughts. Nous comprenons mieux pourquoi le compositeur apprécie cette partition, car à l’instar de Cocoon, de The Spitfire Grill ou de Iris, elle propose une forme musicale tout en subtilité, propice à l’émergence de l'émotion chez l'auditeur. Une musique qui lui ressemble, tout simplement.
In the past, in the future
In Country est une pierre angulaire dans la carrière de James Horner. Elle condense une partie des partitions créées dans les années quatre-vingt et annonce des couleurs que nous retrouverons disséminées par petites touches dans de nombreuses musiques ultérieures.
Le thème qui introduit l'album (Distant Memories) avec ses cordes accompagnées des percussions chères au compositeur (Uncommon Valor, 1983, Aliens, 1986) crée un pont entre les marches de Glory (1989) et les hymnes élégiaques de Courage Under Fire (A l'épreuve du feu, 1996). Les soli de trompette renvoient quant à eux au cor de Testament (1983) et au patriotisme d'Apollo 13 (1995). In Country synthétise ainsi toute la dimension guerrière de la musique du maestro, laquelle se démarque précisément par son approche non-guerrière.
Le second thème, plus lyrique, transpire l'émotion et sera exploité dans Legends Of The Fall (Légendes d'automne, 1994) et The Four Feathers (Frères du désert, 2002), mais puisque sa mélodie repose sur une tournure celtique, il sera surtout développé dans The Devil’s Own (Ennemis rapprochés, 1996). Il apporte ce côté romanesque et humain qui ne se limite pas à illustrer les images et l'histoire, mais en occupe une partie active. Il soutient le film et les sentiments des personnages avec force et délicatesse.
Dans Faraway Thoughts et Three Generations, le piano nous replonge de manière nostalgique dans les souvenirs scellés par les écoutes de To Gillian (Par amour pour Gillian, 1996) et de Field Of Dreams (Jusqu'au bout du rêve, 1989). La guitare de Tommy Todesco déjà présente dans ce dernier album confirme notre impression tout en redéployant des sensations connues à travers Cocoon (1985) et The Journey Of Natty Gann (Natty Gann, 1985), berceaux de l'émotion hornerienne. Le caractère paisible de la partition s'installe d'autant plus durablement que The Letter Home s'ouvre sur les douces cordes qui formeront la matrice romantique de Bicentennial Man (L'homme bicentenaire, 1999).
Puis vient la parenthèse électronique et angoissante du sixième morceau (In Country). Elle forme une base, une approche que James Horner utilisera au cours des deux décennies suivantes. Nous y trouvons les origines synthétiques des morceaux Revenge (Legends Of The Fall, Braveheart), les pulsations qui accompagneront les péripéties d'Harisson Ford (Patriot Games, Devil's Own), l'exotisme menaçant d'Apocalypto et d'Avatar et bien sûr la furie douloureuse du shakuhachi de Kazu Matsui, qui explosera à travers le thème de Tristan (Legends Of the Fall). Dans le morceau suivant (Emmett), les angoisses et les blessures s’atténuent grâce à la douceur apaisante des bois et de la guitare qui jouent les premières notes de Swing Kids (1993) ou de The Boy In The Striped Pajamas (Le garçon au pyjama rayé, 2007), évocations de la guerre sous sa forme la plus innocente.
Quant au morceau d’anthologie qui conclue la partition (Fallen Friends), il brille de mille feux et rassemble en une unique pièce de presque onze minutes toutes les composantes citées précédemment. C'est le joyau mélodique et orchestral de l'album, tout en couleurs pastels qui nous imprègnent tendrement et nous bouleversent assurément. Il perpétue l’habitude de plus en plus fréquente à l'époque et encore aujourd'hui chez James Horner, de mettre en musique les épilogues à travers des longues plages, à l'image des conclusions de Legends Of The Fall, Braveheart, Courage Under Fire ou encore The Pelican Brief…
Les morceaux additionnels proposent des variations intéressantes et bienvenues qui démontrent combien le compositeur sait sculpter ses mélodies en fonction du contexte des scènes, aussi courtes soient elles, mais elles renforcent toutefois l’impression de répétitivité de la musique dans son ensemble.
In fine
L'addition de tous ces aspects fait de In Country une partition à la fois héritière et nourricière. Elle illustre la maturité stylistique du compositeur construite au cours de la première partie de sa carrière et qui transparaît également dans les joyaux symphoniques de la même époque, tels The Land Before Time ou Willow. Elle représente par là-même une somme de dix années d'expérience au service de l'image, une démonstration de l'évolution des orchestrations par rapport au style développé lors des années quatre-vingt, mais aussi une projection vers l'avenir car cet album nous emmène directement dans ce que sera la musique du compositeur au milieu des années quatre-vingt-dix. Redécouvrir une telle musique vingt-quatre ans après sa création est un cadeau, une malle au trésor dont l'exploration de chaque recoin constitue un plaisir, une culture de l'esprit. In Country ou le chaînon manquant et indispensable de l'émotion by James Horner.
1 – Entretien avec James Horner, par Didier Leprêtre, Dreams to Dream…s 1998.
En mémoire de G.L.