BOBBY JONES OU LA BEAUTÉ DU JOUR

Les quatre saisons.
Ne vous est-il jamais arrivé d'associer un album à une saison car, lors de sa découverte, il a accompagné merveilleusement une période de l'année, ou parce que les couleurs qui s'en dégagent vous rappellent tout particulièrement la froideur d'une soirée d'hiver ou l'éclat d'une journée d'été ?
James Horner possède la capacité, en jouant avec les multiples couleurs qui constituent sa palette musicale, d'attribuer à ses compositions une teinte saisonnière spécifique. Il peut être ainsi amusant de choisir la saison qui siérait le mieux à l'un de ses morceaux ou albums.
A l'entrée du printemps, alors que l'obscurité disparaît peu à peu de nos journées, nous vient l'envie irrépressible de nous replonger dans l'une des partitions qui évoque le mieux les deux belles saisons qui s'annoncent.
En effet, n’en déplaise aux allergiques, le printemps et l'été sont deux saisons que nous apprécions pour de multiples raisons : la nature se réveille, les promenades deviennent plus agréables, les gens retrouvent le sourire, les terrasses se fleurissent de monde… En somme, la vie revient et reprend le dessus face au long crépuscule que l'hiver semble lui imposer chaque année.
Que vient faire Bobby Jones dans cette ronde des saisons ? La réponse réside dans la douce magie entourant la photographie et la musique du film qui nous raconte la vie du golfeur américain. L'adéquation de ces deux éléments parvient à retranscrire la beauté du jour et à nous faire revivre la fraîcheur d'une matinée printanière. Explications :
« L'utopie est toujours une affaire d'aube, de lève-tôt ou de rêveurs éveillés »
Jacques Attali
C'est en plein milieu du printemps, le 11 mai 2004, que Bobby Jones : Stroke of Genius sort chez Varese Sarabande. Le premier contact visuel avec la pochette du disque est dominé par un soleil éblouissant et un ciel orangé.
 
 
Cette atmosphère lumineuse s'étend sur la quasi totalité des soixante-trois minutes de l'album et transparaît à de multiples occasions dans le film. Tom Stern, directeur de la photographie, reconnu pour son travail sur les derniers longs métrages de Clint Eastwood, parvient en effet à inonder le film d'une lumière particulière et ainsi à lui donner un charme singulier.
Le morceau introductif St Andrews ouvre le disque sur une ambiance calme et sereine illustrant à merveille le début du jour, la tranquillité de l'aube, la placidité de l'aurore qui caressent tour à tour le parcours de golf de la ville écossaise. James Horner appose sa traditionnelle signature, à savoir un doux tissu de cordes issu de House of Cards, Braveheart ou encore Enemy at the Gates pour évoquer presque naturellement la paix qui se dégage des magnifiques images du générique.
 
 
La cornemuse d'Eric Rigler jaillit en même temps que le titre du film. Le cor de James Thatcher magnifie l'apparition à l'écran du golfeur légendaire. Puis les deux instruments s'accouplent quand le champion arrive sur l'aire de départ du parcours. A la manière d'un peintre, le compositeur parsème sa partition d'apparitions successives d'instruments, comme autant de couleurs qui s'additionnent afin de former un équilibre fragile mais toujours en harmonie avec les images.
A 4'48, un long shime matérialise le swing envoûtant du champion et propulse le film et sa musique vers l'enfance joyeuse de Bobby Jones au son d'une gigue entraînante aux orchestrations celtiques.
« Bobby Jones est un érudit et son accompagnement nécessitait un apprêt jouissif, festif » James Horner.
A 6'28, le cor majestueux et invité habituel des conclusions de morceau revient pour évoquer l'attrait du jeune garçon pour le golf, le plaisir que cette activité lui procure et la légende sportive qui en découlera. La lumière de cette première journée retombe et illumine le visage épanoui et rêveur du jeune Bobby.
 
 
Le film de Rowdy Herrington propose ensuite une succession de scènes matinales :
Le morceau The First Lesson s'ouvre sur le soleil qui transperce un feuillage. James Horner participe à l'éclat de ces premiers instants du jour à l’aide d’un subtil jeu des bois : deux flûtes traversent un tissu de clarinettes.
 
 
La caméra se pose ensuite sur le terrain de golf où la famille Jones arrive pour une leçon. La rosée, le chant relaxant des oiseaux, l'atmosphère fraîche qui laisse apparaître un nuage de vapeur lors des respirations des personnages, la propreté de leurs vêtements… tous ces éléments participent à créer une ambiance accueillante et agréable. James Horner y appose un hautbois chaleureux qui interprète une réminiscence de A Beautiful Mind (Un homme d'exception), augmentant ainsi l'effet d'attachement.
« Il y a du John Nash dans Bobby Jones. Un triomphe de l'esprit humain sur la nature même de l'homme et les difficultés d'un art, d'un sport ou d'une profession poussée à l'extrême » James Horner.
Puis le cor revient afin d'écrire une nouvelle page de la légende qui est en train de se construire quand le jeune garçon reçoit son premier jeu de clubs, offert par le professeur de golf de son père.
 
 
La majorité des scènes du film prolonge ce sentiment de fraîcheur printanière. Par exemple, la scène suivante entraîne dès le réveil le jeune Bobby Jones à admirer, avec une amie, le champion Harry Vardon en démonstration. Les enfants faisant l'école buissonnière, le thème celtique revient dans une variation malicieuse et bucolique rappelant les pitreries d'une bande de jeunes dinosaures (Foraging For FoodThe Land Before Time – Le petit dinosaure et la vallée des merveilles).
A l'âge adulte, Bobby Jones reste abonné aux compétitions dont le départ est donné tôt dans la journée. Les ombres sont longues, ce qui est caractéristique de ce moment du jour.
 
 
Le morceau "A Win Finally !" suit d'ailleurs une très belle scène se déroulant à l'aurore quand Bobby Jones retrouve son complice, le journaliste O.B. Keeler (formidable Malcolm McDowell).
 
 
L'ambiance paisible et silencieuse permet de mettre en valeur les premières mesures du morceau. C'est un moment clé du long-métrage, quand le champion s'émancipe de tous les doutes qui l'entourent depuis sa jeunesse pour enfin voler vers une première victoire dans un Open.
 
 
La nappe synthétique de Ian Underwood dépeint la prise de conscience du jeune homme quant à l'ampleur de son talent tandis que les percussions de Robert Zimmiti sonnent l'heure du combat. Suivront plus tard la cornemuse d'Eric Rigler et la flûte de Tony Hinnigan, toutes deux survoltées, pour fêter dignement cette victoire libératrice.
« "A Win Finally !" a été composé dans cet esprit : la recherche de la victoire et de l'émancipation. Il s'annonce comme un combat, d'où une certaine rythmique en majeur qui évolue vers l'optimisme de la victoire, ce « freedom » que dégage la musique celte et son instrumentation typique » James Horner
Les multiples retours à St Andrews se feront toujours au son des cordes du premier morceau. L'effet pourrait sembler répétitif mais l'osmose avec les images empêche ce ressenti. A chaque fois les couleurs du ciel et la douceur du vent incitent au repos, à la méditation.
 
 
Comme le dit Bobby Jones dans la seconde moitié du film, «ce parcours a une aura et c'est seulement aujourd'hui que je me rends compte». Grâce à la musique de James Horner le spectateur a pu ressentir cette aura à chacune de ses apparitions.
Lors du final (Living The Dream, 8'15) la musique éblouissante dans tous les sens du terme enlumine la vision d'un champ toujours au petit matin et qui deviendra le Augusta National Golf Club, parcours de golf privé situé en Géorgie, crée par Bobby Jones et où se déroulent tous les ans les Masters.
 
 
Finalement, la musique de James Horner est en harmonie totale avec les paysages, les ambiances printanières et estivales du film. Embellie par des interventions solistes remarquables, la partition se révèle être une excellente accompagnatrice entre les deux équinoxes.
 
 
Nous avons laissé de coté plusieurs aspects de cette bande originale, notamment son caractère émotionnel (un comble pour un album de James Horner). Pourtant, les sentiments humains sont une nouvelle fois mis en exergue ici avec surtout un traitement émouvant des relations père-fils qui se traduit en musique par un passage poignant de l'épilogue (Living The Dream à 5'45), ou encore les difficultés liées au sport de haut niveau (No Just A Game Anymore, Playing The Odds). Nous espérons toutefois en avoir dit suffisamment pour vous donner l'envie de découvrir ou de revoir ce film d'une fraîcheur étonnante qui laisse la musique de James Horner s'exprimer comme rarement.
Joyeux printemps à tous !


Toutes les citations de James Horner sont extraites de l'entretien JH et des poussières : quand la famille Delajungle rencontre Hélène de Troie et Bobby Jones. Par Didier Leprêtre et Magali Nguyen-The, Cinéfonia, 2004.

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