THE KARATE KID : DEUX ANALYSES

Deux analyses :
1 – L'art (martial) de l'émotion par David Hocquet.
2- Le retour aux sources par Brigitte Maroillat.

L'art (martial) de l'émotion

Par David Hocquet
Avec l'aimable autoristaion de son auteur. Texte paru à l'origine sur le site Underscores.fr. Lien vers l'article original sur Underscores.fr

Après avoir passé l’essentiel de l’année 2009 à composer la partition du monument Avatar, James Horner a surpris les amateurs en acceptant de remplacer au pied levé Atli Örvarsson sur The Karate Kid, remake d’un film culte des années 80 dérivé de Rocky, également mis en musique par Bill Conti et réalisé par le même metteur en scène, John G. Avildsen. Ce dernier est ici remplacé par l’obscur Harald Zwart, responsable de la séquelle d’un autre remake, The Pink Panther 2 (La Panthère Rose 2) et des aventures d’un James Bond ado, Agent Cody Banks (Cody Banks : Agent Secret)… Ce nouvel opus adapte le concept à l’air du temps : la Chine remplace le Japon, le kung-fu remplace le karaté qui n’est plus ici qu’un sobriquet donnant son titre au film. L’essentiel de la trame est conservée, avec peu de variations, quelques clins d’œil, mais le charme, l’exotisme et l’élégance de ce film familial permettent de le faire passer du stade de la pâle copie à celui d’un joli film en soi, à destination des nouvelles générations.

L’élégante musique d’Horner contribue à donner à ce remake – un parmi tant d’autres – une véritable crédibilité. Mais contrairement à son prédécesseur, il n’a pas été demandé au fils de Harry Horner de composer des chansons à partir de ses mélodies, son thème de l’apprentissage s’y prêtant pourtant parfaitement. Aérienne, ample, avec ses longues notes et ses cordes en sourdine, l’écriture hornerienne de ces dernières années égrène le piano avec délicatesse pour retrouver la beauté d’un Spitfire Grill, en y ajoutant les thématiques de l’innocence et de l’initiation.

Puisque le film se déroule cette fois dans l’Empire du Milieu, la flûte de pan de George Zamfir est ici remplacée par un instrumentarium plus varié, plus directement asiatique, alors qu’il avait fallu attendre le deuxième opus de la série originelle pour découvrir un Japon… tourné à Hawaï. L’Orient n’est donc plus une simple évocation semblable, selon les dires de Bill Conti, à l’Orient fantasmé du Madame Butterfly de Puccini, mais bien une réalité ethnique et sociale dans laquelle Dre Parker, le jeune héros de douze ans interprété par Jaden Smith, est immergé malgré lui. La couleur asiatique du score est là, elle fait partie du cahier des charges, même si Horner n’en abuse pas. D’ailleurs, les références à la musique classique chinoise ne s’entendent brièvement dans l’album qu’à deux reprises. L’influence asiatique se ressent surtout dans les instruments (pas forcément) chinois et parfois japonais comme le shakuhachi et le taiko, très prisés à Hollywood, chez Horner et nombre de ses collègues. Par contre, on notera l’absence de l’erhu, le violon chinois, instrument peut-être trop marqué et au son trop sec pour le timbre fluide et aérien du compositeur.

On est tout d’abord surpris de trouver dans Leaving Detroit, première piste de l’album, cette évocation troublante des notes associées à L’Oiseau de Feu d’Igor Stravinsky, énoncées à la clarinette sur dix secondes (surtout dans la première phrase de cinq notes) puis reprises après la phrase du hautbois. Ces notes disparaissent alors pour laisser place à une élégie de cordes et de vents typiques du compositeur de In Country, précédant elle-même le thème de Dre Parker, qui deviendra rapidement celui de l’amour adolescent.

Alors que Looking Mr Han annonce le thème de l’apprentissage sous la forme d’une simple ébauche hésitante, avec une touche intéressante de xylophone, Kung Fu Heaven présente le kung-fu sur un mode quasi religieux avec un choral qui n’a rien d’asiatique : le message de Mr Han prend alors une dimension universelle, renforcée par l’emploi des cordes et du piano. Dans I Want To Go Home / The Forbidden City, le compositeur traduit la tristesse et la frustration d’un Dre rejeté et loin de chez lui par les notes mélancoliques du piano, des cordes et des instruments à vents (un ton que l’on retrouve également dans All Work And No Play), puis il prend un plaisir énorme à mettre en musique, même brièvement, la visite de la Cité Interdite en suggérant le thème de l’apprentissage sous l’angle de la musique classique chinoise. Un moment sublime de l’album suivi d’une présentation chaste et légère du thème romantique à la manière de Spitfire Grill, traduisant le début des relations entre Dre Parker et de son amie Chinoise. En effet, The Lunchroom propose un savant mélange de couleurs instrumentales pour cette version du love theme avec deux harpes, un cymbalum chinois et une flute à bec.

Backstreet Beating exprime la violence dans un style typique du compositeur (et marqué par les couleurs récentes de Avatar), mêlant acoustique et électronique de manière soignée, même si Horner aime à rappeler que ces aspects du score « vont de soi », lui qui préfère se concentrer sur le cœur romantique et émotionnel du film. D’ailleurs, il établit dans Han’s Kung Fu un contraste entre la violence qui précède, celle d’un kung-fu barbare et mécanique, et la sagesse et la maitrise de Mr Han. On retrouve aussi avec Ancient Chinese Medecine une sensibilité qui exprime la sagesse des Anciens et dont l’arpège du cymbalum chinois est à rapprocher de celui associé à la «technique du cobra», qui intervient plus tard dans le film, avec un son de gamelan en arrière-plan (une autre influence majeure de Avatar). Dans Mei Ying’s Kiss, il est intéressant d’entendre, pour cette scène romantique entre Dre et son amie, à quel point le thème de l’apprentissage s’impose : Dre découvre lors de la Saint-Valentin locale un spectacle d’ombres qui fait le récit d’une légende romantique chinoise. Et c’est le thème de l’apprentissage qui précède celui du love theme pour souligner son immersion dans une culture chinoise authentique.

Journey To The Spiritual Mountain est un des sommets de l’album qui, comme The Forbidden City, est une exploration spirituelle de la Chine. Ce sont d’abord les cordes qui nous entraînent dans un mouvement enjoué que le shakuhachi interrompt pour nous laisser nous imprégner de la quiétude des lieux. Ensuite, les instruments locaux s’imposent peu à peu pour exprimer la grandeur du site, avant que le mystère ne s’installe durablement via l’harmonica de verre, instrument rare chez Horner. La partition prendra momentanément une direction différente, notamment avec Hard Training où le thème de l’apprentissage se développe de façon dynamique pour une séquence de montage, passage obligé des films de cette série. On retrouvera ce même thème dans Jacket On, Jacket Off, ponctué cette fois par de très belles percussions cristallines. Mais on revient très vite aux sentiments avec From Master To Student To Master, une des scènes les plus émouvantes du film qui voit Dre et Mr Han se retrouver dans l’entrainement pour dépasser la douleur du maître, responsable de l’accident qui a causé la perte de sa famille : la discrète gravité des cordes et les touches délicates du piano soulignent parfaitement les nuances émotionnelles. La deuxième partie du morceau revient sur le thème de l’apprentissage, qui s’affirmera crescendo sur presque cinq minutes dans sa plus grande noblesse puis dans toute sa puissance, les cuivres et les taikos drums se plaçant finalement en tête pour guider le montage de l’entraînement vers son apothéose musicale.

Puis voici enfin Tournament Time : la compétition, son énergie, sa rudesse, sa tension. Un passage musical très excitant nourri de percussions et de cuivres, superbe dans la tension rythmique des cordes (de 1:17 à 1:52). Après sa blessure, lorsque Dre doit convaincre Mr Han qu’il doit retourner se battre pour surmonter sa peur et sauver son honneur, un bref choral sur des cordes en sourdine précède une version tendre de l’apprentissage à la flûte. Quant à Final Contest, après quelques moments de suspense et une tension intenable, c’est enfin la victoire pour le jeune Dre ! Il triomphe grâce à la technique du cobra et son motif envoûtant. Sous la forme d’une fanfare, le thème de l’apprentissage conclut le film dans l’euphorie et la jubilation !

Voila une partition du compositeur qui confirme une fois encore son incroyable sens de la dramaturgie et de la mélodie. James Horner aborde chaque genre, sonde chaque film et renforce son potentiel émotionnel brut. Que ce soit le superbe spectacle de science-fiction de James Cameron ou un film adolescent comme The Karate Kid, la musique joue ce rôle de révélateur et réussit à toucher directement  le cœur du spectateur : l’expérience cinématographique devient grâce à lui plus bouleversante encore.

David Hocquet

Avec l'aimable autorisation de son auteur.

Source de l'article original : http://www.underscores.fr/index.php/2010/09/chroniques-james-horner-the-karate-kid-madison-gate-records/


Le retour aux sources
Par Brigitte Maroillat.
 
James Horner a toujours su cultiver l’art du contre pied. Il n’est jamais là où il serait légitime de l’attendre. Une fois de plus, le compositeur surprend les observateurs avertis en choisissant de s’investir dans un projet modeste mais ô combien réussi.
Avec The Karate Kid, James Horner signe une de ses plus belles partitions depuis The Missing. Elle marque le retour du compositeur aux sources de son art, à l’essence profonde de sa musique. Après le monumental Avatar, flot sonore ininterrompu qui emportait la sensibilité du musicien dans le magma d’une orchestration massive, The Karate Kid apporte une bouffée d’air frais, un temps de respiration salvateur. Ce nouvel opus renvoie à l’œuvre hornérienne par excellence, à la fois nostalgique et épique, oscillant entre émotions à fleur de peau et puissance narrative.
 
Ce n’est nullement le fruit du hasard si le film commence avec le titre Leaving Detroit, dont les premières mesures donnent le ton sur lequel se déclinera l’ensemble de la partition. En citant Stravinsky, le compositeur place d’emblée son œuvre sous le signe de l’universalité et prend ainsi ses distances avec la Chine pour mieux la raconter. Les quelques incursions de celle-ci dans la bande originale s’avèrent toujours pertinentes quand il s’agit d’évoquer les splendeurs passées et les lieux symboliques de l’Empire du Milieu. Ainsi, la visite de la Cité Interdite et le voyage initiatique au cœur des montagnes de Wudang donnent lieu à deux morceaux magnifiques, The Forbidden City et The journey To The Spiritual Mountain, à l’inspiration clairement asiatique. Le compositeur mêle magistralement grand orchestre et musique électronique pour évoquer le portrait à la fois intemporel et contemporain d’une Chine qui s’éveille et qui cherche sa voie entre modernité et traditions ancestrales.
Avec ce sens de la dramaturgie qui lui est propre, James Horner narre l’histoire d’un apprentissage et le cheminement d’une intégration en terre étrangère. A la manière d’un peintre qui saisit la lumière, il capte toutes les nuances des émotions humaines dans la moindre inflexion de sa musique. Écoutez le silence marqué par les cordes au tout début du titre I Want To Go Home : celui-ci nous parvient tel un sanglot que l’on retient, comme des larmes que l’on réprime. La musique de James Horner suggérant les émotions sans les exhiber, c’est précisément là que réside tout le talent du compositeur.
Ce dernier scrute alors la relation qui se tisse subtilement entre Dre, l’élève, et Monsieur Han, le Maître du Kung Fu (surprenant Jackie Chan qui démontre, de par une sobriété inhabituelle, qu’il est aussi un bon acteur) et tire de sa substantifique moelle un de ses plus beaux thèmes. From Master To Student n’est rien moins qu’un morceau d’anthologie : son souffle héroïque, rythmé par les percussions, souligne toute la puissance et la solennité reliées à ce passage de relais intergénérationnel, à cette transmission d’un savoir ancestral dont la musique se fait le témoin éclairé.
 
« La vie nous met à genoux mais on peut choisir ou refuser de se remettre debout ». Tel est le précepte premier de l’enseignement de Monsieur Han. Le compositeur fait sien cet aphorisme en conférant à sa partition un final d’une force comparable à From Master To Student. The Final Contest se retrouve habité par la puissance narrative de James Horner, dont le propre retour à ses racines musicales fait écho à la résurrection inespérée de Dre. En retrouvant le chemin de son inspiration première, il renoue avec le sens profond de sa musique, à savoir une musique universelle qui abolit le temps et résiste à l’obscurité.
Œuvre subtile et enflammée, The Karate Kid nous rapproche du cœur même de l’art de James Horner.
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