OR NOIR DE JAMES HORNER : PREMIERES IMPRESSIONS ET RENCONTRE AVEC J.J. ANNAUD

Comme en témoignent les couleurs de notre page d'accueil, l’événement du mois est la sortie du nouveau film de Jean-Jacques Annaud mis en musique par James Horner : Or Noir. Mercredi soir, nous nous sommes rendus au Havre où avait lieu la première projection française pour le public. C'était l'occasion pour nous de découvrir en exclusivité la toute nouvelle partition du compositeur mais également de rencontrer le réalisateur, venu répondre aux questions des spectateurs après la vision du long-métrage.

LE FILM
Sous le ciel d'un désert impitoyable, deux leaders de clans en guerre s'affrontent.
Nesib, Émir de Hobeika, impose en vainqueur ses termes de paix à son rival Amar, Sultan de Salmaah. Les deux hommes reconnaissent qu'aucun ne peut prétendre conquérir la zone de no man's land qui les sépare, la Ceinture Jaune. En retour, Nesib adoptera les deux fils d'Amar, Saleeh et Auda, comme une garantie qu'aucun ne peut envahir l'autre.
Douze ans plus tard, Saleeh et Auda sont devenus de jeunes hommes. Saleeh, l'âme d'un guerrier, éprouve un ardent désir de fuir sa cage dorée et de revenir sur le territoire de son père. Auda, en quête de connaissances, ne s'intéresse qu'à la lecture. Un jour, un Américain du Texas rend visite à leur père adoptif Nesib. L'étranger apprend à l'Émir que sa terre est bénie de pétrole et lui promet la richesse au-delà de sa plus folle imagination.
Nesib imagine alors un royaume sans limite, un royaume avec des routes, des écoles et des hôpitaux financés par l'or noir qui se trouve sous ce sable stérile. Seulement… le précieux pétrole se trouve dans la Ceinture Jaune.
La trêve cède donc la place à une véritable épreuve de force pour le contrôle de la Ceinture Jaune, pour le contrôle des deux royaumes, pour le contrôle de l'avenir.
 
Tout comme Stalingrad, Or Noir est un film notable car riche de sens et d'idées. En effet, au-delà du caractère spectaculaire de certaines scènes, de l’aisance du réalisateur à magnifier sans artifice numérique, mais juste par sa mise en scène chaque moment, même intimiste, du film, ou encore de sa capacité à conserver une fluidité narrative tout au long des 128 minutes que dure cette plongée au cœur du désert, l'histoire se démarque principalement en distillant une série de réflexions pertinentes sur les relations entre l'Occident et l'Orient : les avancées et les pratiques du premier remettant en cause la foi et l'immobilisme prônés par les textes religieux ancestraux du second. Ainsi des thématiques telles que l'argent, la place de la femme, la liberté, la famille, la foi ou encore la médecine sont abordées avec sérieux mais également avec quelques fois un humour bienvenu apporté par le très plaisant rôle du médecin.
 
Même si l'histoire se déroule dans les années 30, l'ensemble du discours fait admirablement écho à la situation géopolitique actuelle liée à l'exploitation du pétrole au Moyen-Orient mais également à la révolution arabe du début de l'année 2011 à travers sa recherche de liberté. Le dernier plan sur la portée actuelle du film est d'ailleurs éloquent et montre bien que depuis cette époque rien n'a changé : au détriment de l'amour et de la famille, c'est l'argent et lui seul qui fait tourner le monde.
 
LA MUSIQUE
Dix sept mois… C'est le temps qu'il nous a fallu attendre depuis The Karate Kid pour écouter une nouvelle partition de James Horner. Une attente longue comme une traversée du désert. Toutefois, dès le début du film, notre patience est récompensée par un moment envoûtant : les noms du générique défilent sur un fond noir, et ce durant plus de deux minutes, laissant la musique seule s'exprimer. A travers le développement de celle-ci, James Horner nous imprègne petit à petit de l'univers du film comme s'il nous ouvrait une fenêtre sur celui-ci. Tout se joue dans le contraste entre la chaleur de la voix de Fahad Al Kubaisi, proche de celle déployée par Rahat Nusrat Fateh Ali Khan dans Frères Du Désert, et le son cristallin, fragile du piano. La première image n'est pas encore arrivée mais les émotions apparaissent déjà. Les vingt cinq premières minutes du film confirmeront ce premier ressenti positif : la musique omniprésente mise en avant aide le réalisateur à présenter ses personnages et son histoire. L'absence de silence ou de pause s’avère significative tant elle démontre sa confiance envers le compositeur.
Puis, tout comme The Karate Kid qui présentait à chacun des premiers morceaux une grande diversité dans les orchestrations, James Horner nous offre également ici au cours des 100 minutes qui semblent avoir été composées pour le film, tout un panel de couleurs : la gravité (à travers un long et magnifique solo de cor), quand les deux fils Saleeh et Auda sont séparés de leur père, la douceur quand ils grandissent dans les jardins de la cité d'Hobeika, la beauté des grands espaces lorsque un avion survole cette dernière, l'ironie pour représenter les dépenses désintéressées de Nesib (Antonio Banderas) qui s'enrichit en trahissant le pacte passé avec son rival Amar (Mark Strong), père des deux garçons…
C'est donc le premier élément à retenir : James Horner, en grande forme, porte magnifiquement toutes les émotions qui traversent chaque scène du film, et cela même si des moments de musique se retrouvent repris et collés à l'identique à plusieurs endroits : les violons entendus dans la bande annonce (à 1'26), sont ainsi repris près de quatre fois afin d'illustrer un moment tragique, tout comme les cordes agitées (1'03) suivies de trombones grondants (1'14) interviennent dès qu'une menace surgit.
 
L'autre point important à retenir est que Or Noir est peut être la partition de James Horner qui se base le plus sur l'utilisation répétée d'un même thème tout au long du film. Ce thème, reprise obsédante de notes malheriennes (présentes dans Les Experts, Balto, Apollo 13 et Titanic), et qui s’épanouissait déjà pleinement au sein du chaos de Stalingrad, poursuit ainsi sa migration au sein de l’œuvre hornerienne. Sa signification identique suivant les films évoque, comme nous l'avions suggéré dans notre analyse « Entre sensibilité et intelligence », la souffrance des corps et des êtres, le point de rupture entre espoir et désespoir. De tels moments se retrouvent fréquemment ici, notamment quand les personnages égarés dans le désert meurent de soif les uns après les autres. Toutefois, Or Noir pousse encore plus loin cette migration thématique, puisqu'à travers ses multiples variations James Horner s'approprie encore plus largement ce thème, l'intègre à son langage et développe avec lui des nouvelles couleurs : l'amour entre un prince et une princesse, la joie éprouvée suite à la découverte d'une source d'eau, une chevauchée épique… Ainsi, à la sortie du film, cette mélodie presque addictive nous reste à l'esprit et nous rappelle toute la gamme des émotions ressenties durant la séance.
 
Deux autres thèmes, secondaires, sont à signaler : dès que l'enfance et la perte d'un être cher sont évoquées, des notes jouées par un piano ou un violon soliste, évoquant Casper's Lullaby, accompagnent la voix plaintive du chanteur qatarien, instaurant ainsi une musique intimiste et mélancolique du plus bel effet. Puis un motif hérité de Troie (pour l'entendre il vous faut réécouter par exemple The Wooden Horse And The Saking Of Troy de 8'56 à 9'16) résonne à plusieurs reprises quand l'enjeu se concentre sur la conquête du pouvoir.
 
« Tout ce qui a de la valeur ne se gagne que par l'amour ou par le sang. » dit le personnage principal du film. Tombé amoureux des images réalisées par son ami Jean-Jacques Annaud au cours des longues semaines que celui-ci a passé dans les dunes des déserts tunisiens, James Horner signe avec Or Noir une nouvelle musique majestueuse et de grande valeur, en symbiose avec les messages et les idées du film.
 
Note : le thème à 4 notes fait une apparition très discrète (comme celle à la fin de Harry's Resignation dans Frères Du Désert) lors de l'annonce de la mort d'un personnage au cours de la deuxième scène du film.
 
LA RENCONTRE AVEC Jean-Jacques Annaud
Entretien avec Jean-Jacques Annaud, lors de la conférence-débat qui a suivi la projection de son dernier film Or Noir, le 2 novembre 2011 au Havre.

Vingt-cinq ans après Le Nom De La Rose, dix ans après Stalingrad, pourquoi êtes-vous revenu vers James Horner pour porter votre histoire en musique ?
 
Jean-Jacques Annaud : James Horner est l’un des grands compositeurs avec qui j'ai eu la chance de travailler. J'ai effectivement collaboré la première fois avec lui sur Le Nom De La Rose, on s'était d'ailleurs un petit peu disputé, mais j'aimais déjà beaucoup le personnage. Je l'ai retrouvé sur Stalingrad et j'ai passé avec lui deux mois, je crois, à Munich en allant aux concerts tous les jours, parce que je tournais le film en Allemagne. J'ai développé avec lui une amitié très profonde et vous savez, pour un metteur en scène, la musique représente un moment crucial et extrêmement inquiétant, car c'est la première et la seule fois où il abandonne son film à quelqu'un d'autre. Je suis évidemment présent, mais comment, comment voulez-vous dire au compositeur : je veux quoi ? une musique romantique ? qu’est-ce que ça veut dire, une musique romantique ? ou bien je veux un moment d'émotion ? mais avec quel instrument et avec quel tempo ? Alors si je lui dis "et bien il me faut un largo au violoncelle", il va me répondre "ah mais non, ça ne va pas du tout, un largo au violoncelle ne convient pas ici, tu vois bien qu'il faut une flûte basse". C’est pourquoi une compréhension cordiale entre le musicien et le metteur en scène est absolument nécessaire. Or, James est le compositeur qui a composé la musique de Braveheart ou certains films de James Cameron, Titanic et bien sûr Avatar. C'est un compositeur extrêmement demandé et il m'a fait l'incroyable honneur de tout arrêter pour m’accompagner sur ce projet: je suis allé le voir à Los Angeles, je lui ai montré quelques images sur mon ordinateur et il m'a dit la phrase suivante : "est-ce que tu sais que plus personne ne fait des films comme ça aujourd'hui ? Bien sûr que je suis d’accord !" Malheureusement, nous n’avions plus de budget pour la musique ! Alors il a divisé son budget par cinq, son salaire par dix, et depuis le mois d'avril il travaille en exclusivité sur ce film, il me suit, il vient avec moi partout, nous sommes devenus très amis. Je dois dire que cette collaboration est merveilleuse, parce que nous écoutons de la musique ensemble, nous travaillons dans un état de fusion formidable. Je reviens de Doha, il a passé une semaine au Qatar avec moi pour voir le film devant une foule de musulmans. Ce film marque à la fois une rencontre rare avec un homme que j’apprécie au plus haut point, une fusion extraordinaire entre nos deux points de vue artistiques et au final une très grande collaboration. Je suis de très près le processus musical, je choisis les thèmes avec lui, il les joue au piano, ensuite nous enregistrons à Abbey Road avec le London Symphony Orchestra, puis il me consulte pour chaque morceau, je demande parfois des modifications de tempo, d'orchestration, nous en discutons, il suit généralement mes indications et il reste présent jusqu'au mixage. Que demander de plus ? J’ai travaillé par le passé avec des très grands compositeurs, tels que Gabriel Yared, John Williams, ou Philippe Sarde, et aussi avec Pierre Bachelet, qui a écrit la musique de mes premiers films, mais j’ai l’impression d’avoir trouvé aujourd’hui le compositeur idéal. J'ai eu au cours de ma carrière cette très grande chance de travailler avec de remarquables collaborateurs, mais j'ai en même temps un peu regretté de ne pas accéder, comme Sergio Leone avec Ennio Morricone ou Federico Fellini avec Nino Rota, à une osmose si parfaite, et là, enfin, je crois l'avoir vraiment trouvée. Donc il est fort probable que les films suivants se feront avec James Horner.
 
Merci à Monsieur Annaud pour sa disponibilité et son enthousiasme vis à vis de notre passion pour James Horner. Il s'est dit prêt à revenir vers nous quand la longue tournée mondiale pour présenter son film arrivera à son terme. A suivre donc…
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