J. HORNER / J.-J. ANNAUD : LES NOMS DE L’AMITIÉ

Et de quatre ! Après Le Nom de la Rose (1986), Stalingrad (2001) et Or Noir (2011), Jean-Jacques Annaud et James Horner signent avec Le Dernier Loup leur quatrième collaboration. Excepté Ron Howard (6 films) et Joe Johnston (4 films également), le compositeur n'a jamais autant travaillé avec un réalisateur. Cette entente dépasse à présent en nombre toutes celles bloquées à trois projets communs : Michael Apted, Walter Hill, Martin Campbell, Edward Zwick, Phil Alden Robinson, Mel Gibson ou encore James Cameron. Cette quatrième collaboration est aussi un signe fort, une preuve que malgré une première expérience difficile sur Le Nom de la Rose, les destins de ces deux artistes étaient finalement liés et qu'ils allaient ensemble sublimer le mariage de l'image et de la musique.
Lors de notre rencontre en 2011, Jean-Jacques Annaud nous avait confié avoir toujours été à la recherche de son alter-ego musical, celui avec qui il pourrait développer une collaboration sur la durée comme ont réussi à le faire Steven Spielberg et John Williams, Sergio Leone et Ennio Morriconne ou encore Alfred Hitckock et Bernard Hermman. En effet, au cours de sa carrière, le réalisateur n'avait jamais réussi à passer le cap des deux collaborations avec ses compositeurs : il débuta avec Pierre Bachelet pour La victoire en chantant (1976) et Coup de tête (1979), puis travailla avec Philippe Sarde pour La Guerre du feu (1981) et L'Ours (1988) ou encore Gabriel Yared pour L'Amant (1990) et Les Ailes du courage (1995)…
« La musique est comme une frustration pour le metteur en scène car il ne peut la maîtriser totalement. C'est le processus de création du film qui demande bien souvent le plus efforts avec soi-même. (…) J'ai eu du mal à m'entendre avec tous les musiciens avec lesquels j'ai collaboré. Au même titre que la photographie ou le montage, la musique doit être un élément du film avec lequel le metteur en scène joue et non pas le musicien ! D'où les conflits ».
ll y a bien eu un conflit avec James Horner en 1986 sur Le Nom de la Rose mais les deux artistes ont réussi à se réconcilier quinze plus tard pour le gigantesque Stalingrad. Impossible de ne pas faire le parallèle avec les tensions vécues quelques mois auparavant avec James Cameron sur Aliens, sorti la même année, et qui s’estomperont une décennie plus tard sur Titanic. Les retours successifs de James Horner dans l'univers de Jean-Jacques Annaud démontrent à quel point une séparation en apparence définitive peut déboucher sur un rapprochement complice et durable.
Comme il l'évoquait en 2011, Jean-Jacques Annaud a enfin trouvé son compositeur fétiche. Certes nous sommes loin de la densité des collaborations légendaires citées précédemment. Certes la filmographie du réalisateur français n'a pas l'étoffe de celles de Steven Spielberg, Sergio Leone ou d'Alfred Hichcock. Mais est-ce vraiment important à la vue et à l'écoute d’œuvres aussi épanouies que Stalingrad et Or Noir, lesquelles démontrent à chaque seconde la symbiose totale des visions artistiques de James Horner et Jean-Jacques Annaud et nous amènent à attendre avec une impatience démesurée leur nouvel opus ? Après l'abbaye mystérieuse, les ruines de Stalingrad et les dunes de sable brûlant, l'appel au voyage vers les plaines de Mongolie possède  la saveur d'une invitation impossible à refuser et là réside toute la réussite de ces deux hommes : donner à chacune de leur nouvelle rencontre le statut d'un événement à ne pas manquer.
[divider]Le Nom De La Rose (1986)[/divider]
Thriller franco-italo-allemand, adapté d'un roman de l'Italien Umberto Eco, Le Nom De La Rose nous plonge en l'an 1327, dans une abbaye bénédictine, où des moines sont retrouvés morts dans des circonstances suspectes. Guillaume de Baskerville (Sean Connery), accompagné du jeune Adso (Christian Slater), mène alors l'enquête.
Le réalisateur français Jean-Jacques Annaud, au lieu de faire appel à Philippe Sarde qui avait composé la bande originale de son précédent film (La Guerre Du Feu) souhaite un compositeur américain pour illustrer musicalement cette histoire européenne. Mais à quelques semaines de la sortie de son film en Allemagne et aux Etats-Unis, l'auteur de Sept Ans Au Tibet n'a toujours pas de compositeur. Il avait pourtant bien envoyé le scénario à la compagnie Gorfaine / Schwartz qui l'avait fait suivre à plusieurs de ses compositeurs mais aucun ne s'est manifesté. Le voilà donc obligé de prendre les devants et de se rendre à Los Angeles. Il y rencontre James Horner avec lequel il discute longuement sur la manière de « sonoriser » le film. Le compositeur, qui vient d'enregistrer deux partitions symphoniques avec le London Symphony Orchestra (Aliens et An American Tail), souhaite opter pour une orientation électronique. Jean-Jacques Annaud désire quant à lui plutôt  le son d'une orchestre. Première divergence.
Faute de temps, le réalisateur n'arrive pas à convaincre James Horner de se tourner vers une approche symphonique. Les deux hommes se lancent donc ensemble vers l'expérimentation synthétique.
« Les délais, la pression, nous ont empêchés d'avoir une relation plus intense. Il a fallu faire dans l'urgence, et même si cela stimule la création comme ce fut le cas sur Le Nom de la Rose, l'expérience humaine ne s'épanouit pas totalement. »
La création de la bande-originale est un véritable chemin de croix. James Horner sample de nombreux instruments anciens et les présente un à un pour validation à Jean-Jacques Annaud. Mais une fois tous les sons sélectionnés le résultat ne plaît pas forcément au réalisateur français, instaurant ainsi l'incompréhension chez le compositeur et l'accentuation des tensions. Au fil du temps, Jean-Jacques Annaud demande à James Horner de ne plus rien lui demander. La communication est coupée.
« Il s'est mis à travailler dans son coin et m'envoyait la musique que je mettais ou non dans Le Nom de la Rose. J'ai adoré sa musique pour mon film mais je n'aimais plus l'homme. »
Enregistrée à Munich en Allemagne, la musique mêle une instrumentation à la fois ancienne et moderne avec d'un côté des synthétiseurs et de l'autre des instruments évoquant le Moyen-âge : un carillon, des cloches, un luth, une cithare, une harpe. La musique confère ainsi au film une atmosphère qui sait, selon les scènes du film, être mélancolique, envoûtante ou terrifiante. Pour preuve, la musique fut très utilisée par les amateurs de jeux de rôles pour les parties qui requerraient l'installation d'un climat oppressant et mystérieux.
Pour plus de détails sur cette partition nous vous invitons à lire notre article : Le Nom de la Rose : Poétique de James Horner. Par David Hocquet.
[divider]Stalingrad (2001)[/divider]
Film de guerre,  Stalingrad dépeint l'affrontement entre deux tireurs d'élite durant la bataille de Stalingrad : le jeune Vassili Zaïtsev (Jude Law) dont la publication des exploits redonne espoirs aux troupes soviétiques et le major König, le meilleur tireur d'élite allemand dépêché spécialement pour mettre fin aux agissements du nouveau héros de l'armée rouge.
A la fin des années 90, alors qu'il va entrer dans la production de Stalingrad, Jean-Jacques Annaud va recevoir deux signaux : le premier est lorsqu'un technicien d'un plateau de télévision l'interpelle et lui dit « Mon frère vous dit bonjour. C'est James Horner » Jean-Jacques Annaud a été touché par ce premier pas réalisé par le compositeur. Puis le deuxième signal est un coup de fil de l'agent du compositeur qui explique au réalisateur français que celui-ci a lu le scénario du film et désire le rencontrer. Quinze ans après Le Nom de la Rose, les deux artistes vont se réconcilier.
Le compositeur se rend sur le tournage du film en ex-Allemagne de l'Est. Et Jean-Jacques Annaud va être immédiatement fasciné par son interprétation du scénario.
« Il est devenu sur ce film le deuxième partenaire de création après Alain Godard. Pour la première fois de ma vie, j'ai dit à un compositeur : « tu comprends le film aussi bien que moi. Mettons-nous d'accord sur le style et je te laisse faire ».
De son côté, James Horner garde également un souvenir marquant de son arrivée sur le tournage.
« Cela a dépassé tout ce que j'imaginais. L'ampleur du plateau m'a marqué. Il y avait des caméras partout, les figurants étaient sales et frigorifiés, ce n'était plus du cinéma. En voyant ce tableau humain devant moi je me suis orienté vers une partition plus sensible »
Les deux hommes ne se quittent plus et passent deux mois ensemble. Ils deviennent très complices. De ce séjour en Allemagne leur amitié est née.
« Émotionnellement, il est devenu l'un de mes amis les plus proches et Stalingrad marquera le début d'une nouvelle ère entre lui et moi. De la querelle est donc née une confiance que je n'ai qu'avec peu de personnes dans le métier ».
Enregistrée fin octobre 2000 au studio Abbey Road à Londres, la partition est un monument dans la carrière de James Horner. Lors des sessions d'enregistrements, Jean-Jacques Annaud a déclaré :
« Je suis sidéré. Je suis tellement heureux de ce que j'entends. Je ne ai jamais été aussi heureux. J'ai été ravi par le tournage et mes acteurs. C'était une expérience très positive jusqu'à présent, mais ici c'est un autre niveau de plaisir. Je pense que nous avons 160 musiciens et chœurs dans le studio mais il y a aussi beaucoup de soli joués avec une clarinette ou avec une balalaïka seules dans le calme. Même si nous avons 35 violons, la musique sonne très souvent comme le vent. »
source : Sony Classical
James Horner parle de sa musique ainsi :
« J'ai évité les stéréotypes avec le grand orchestre sur les scènes de bataille et j'ai tendance à écrire très tranquillement et de façon élégiaque pour l'orchestre. Pour le chœur, il donne certes un sentiment russe, mais aussi un côté très spirituel, un sentiment mélancolique. »
source : Sony Classical
Pour plus de détails sur cette partition nous vous invitons à lire notre article : Stalingrad : Il était une fois dans l'est. Par Jean-Christophe Arlon
[divider]Or Noir (2010)[/divider]
Or Noir se déroule dans les années 30 lors de la découverte du pétrole en Arabie. Nous assistons à la rivalité entre les deux émirs Nesib (Antonio Banderas) et Amar (Mark Strong), et à l’ascension de Auda (Tahar Rahim), un jeune Prince qui va unir les tribus du royaume du désert pour prendre le contrôle des deux royaumes.
Avant Or Noir, Jean-Jacques Annaud a réalisé deux longs métrages où il collabora avec des compositeurs sans doute imposés par les producteurs : le compositeur britannique Stephen Warbeck pour Deux frères, co-production franco-britannique, et le compositeur espagnol Javier Navarrete pour Sa Majesté Minor, co-production franco-espagnole.
Pour Or Noir, les producteurs Tunisiens lui donnent carte blanche pour le choix du compositeur. Tout naturellement Jean-Jacques Annaud se rend donc à Los Angeles pour présenter des séquences à James Horner. L'auteur d'Avatar est immédiatement séduit par ce style de cinéma authentique, sans surenchère d'effets numériques.
Jean-Jacques Annaud raconte :
« Je suis allé le voir à Los Angeles, je lui ai montré quelques images sur mon ordinateur et il m'a dit la phrase suivante : « est-ce que tu sais que plus personne ne fait des films comme ça aujourd'hui ? »
Partition marquée par les grandes envolées de son thème principal et ses sombres et lumineuses variations, Or Noir dévoile également de sublimes moments intimistes autour de la voix de Dhafer Youssef et du piano. De plus, la présence du jeune chanteur qatarien Fahad Al-Kubaisi et de la chanteuse anglaise d'origine indienne Susheela Raman apporte un cachet supplémentaire qui parachève le parfait équilibre entre les cultures musicales orientales et occidentales.
Une décennie après Stalingrad, Or Noir apporte  la confirmation que la complicité entre les deux artistes est totale :
« Je choisis les thèmes avec lui, il les joue au piano, ensuite nous enregistrons à Abbey Road, il me consulte pour chaque morceau, je demande parfois des modifications de tempo, d'orchestration, nous en discutons, il suit généralement mes indications et il reste présent jusqu'au mixage. Que demander de plus ? Ce film marque à la fois une rencontre rare avec un homme que j’apprécie au plus haut point, une fusion extraordinaire entre nos deux points de vue artistiques et au final une très grande collaboration. »
Pour plus de détails sur cette partition nous vous invitons à lire notre article : Black Gold : Les poètes du désert par Jean-Baptiste Martin et Etienne Walter.
[divider]Le Dernier Loup (2015)[/divider]
Adaptation d'un roman d'aventures chinois, partiellement autobiographique, de l'écrivain Jiang Rong, Le Dernier Loup suit un jeune étudiant originaire de Pékin, Chen Zhen, qui est envoyé en Mongolie Intérieure afin d’éduquer une tribu de bergers nomades. Il est rapidement fasciné par la créature la plus crainte et vénérée des steppes : le loup. Il décide donc de capturer un louveteau afin de l’apprivoiser. La situation se complique quand un représentant régional de l’autorité centrale décide par tous les moyens d’éliminer les loups de la région.
Suivant la lignée définie par Stalingrad et Or Noir, Le Dernier Loup est une nouvelle preuve que James Horner et Jean-Jacques Annaud vivent à présent une collaboration idyllique rare. Dans les propos exclusifs recueillis en février 2015 par Jean-Christophe Arlon au terme de l'avant-première niçoise du film, Jean-Jacques Annaud nous explique que cette quatrième collaboration avec le compositeur de Titanic sonnait comme une évidence :
« J’ai tout de suite pensé que James était l’homme de la situation parce que c'est un homme incroyablement sensible, et parce qu'on est amis, tout simplement. Profondément amis. J'éprouve une véritable passion pour cet artiste qui est à la fois un immense pianiste et un compositeur formidable, qui a une vie hallucinante et vraiment oui, c’est l'un des hommes pour lesquels j’ai beaucoup de respect et d’amitié. »
Après la vision du film, après avoir passé deux heures à être complètement envahi par les extraordinaires images captées en Mongolie par le réalisateur, une idée apparaît avec certitude : Le Dernier Loup est sans doute le plus beau représentant de l'osmose artistique entre les deux hommes. Cette dernière a d'ailleurs pu s'exprimée dans une totale liberté loin du formatage dominant dans l'industrie des grosses productions cinématographiques :
« Nous avons travaillé pendant quinze jours avec l’Orchestre Symphonique de Londres, à Abbey Road et à Air Studios, avec les meilleurs solistes d’Angleterre, le tout dans une absolue liberté. Personne n’a interféré, à aucun moment. »
Il est bien loin le temps où Jean-Jacques Annaud appréhendait sa rencontre avec le compositeur avec la peur d'être incompris, de perdre le contrôle de son film. Sur Le Dernier Loup et comme sur chaque projet avec James Horner depuis Stalingrad, l'entente fut totale : l'esprit que doit dégager la musique, sa place dans les scènes, son rôle émotionnel, sur tous ces points il n'y a eu aucun désaccord, friction ou même négociation. Le processus créatif en fut grandement facilité. Dans son emploi du temps, Jean-Jacques Annaud avait prévu quatre jours à Los Angeles pour réaliser le spotting, c'est à dire les sessions durant laquelle le metteur et scène et le compositeur déterminent l'emplacement et du rôle de la musique à l'image. Or ce travail n'a pris qu'une seule journée :
« Il ne connaissait rien de l’histoire, il voyait le film le soir et, le lendemain matin, il faisait quelques commentaires très agréables à entendre puis là, dans cette espèce d’extraordinaire amitié, nous regardions le film ensemble. C’était drôle parce qu’on regardait le film et on faisait le même mouvement, on était comme un fauve (il mime des gestes – ndlr) : là on fait monter la musique, ici on fait entrer le thème, là on l’abaisse, ici on la coupe… C’était fou parce que je n'avais rien dit. Mais on se connaît si bien, on se comprend tellement que jamais nous avons douté ni même différé… C’était à la seconde près. »
Enfin tout comme sur Stalingrad, où de l'aveu même du réalisateur français, James Horner était devenu un élément clef du processus créatif durant le tournage et la post production, le compositeur a eu une influence sur plusieurs choix liées à la mise en scène de Le Dernier Loup :
« C'est un homme très sensible, je place en lui une confiance absolue. Il m’a dit par exemple: « Tu as deux-trois paysages, il faudrait les rallonger un peu parce que je vais faire fondre l’orchestre dessus. Et puis là, tu as deux plans de loups qui sont redondants ». A tel point que je lui disais: « attends, dis moi plus », et lui répondant: « non, non, ne change rien, ne bouge pas ». Une telle collaboration est exceptionnelle. »
En 2013, pour les 60 ans de James Horner, nous lui avions souhaité qu'il conjugue à nouveau son immense talent avec celui d'hommes de confiance comme Jean-Jacques Annaud, pour exposer à nouveau au plus grand nombre la véritable communion de l'art musical et cinématographique. Et ainsi nous faire rêver à nouveau…
En cette année 2015, grâce à ce nouveau film qui va être diffusé dans le monde entier, grâce au duo Horner-Annaud, artistes magnifiques dont les noms riment avec amitié, nous sommes enfin amenés à rêver à nouveau. Merci Messieurs.
 

Note : Cet article n'aurait pas été possible sans l'aide de Jean-Christophe Arlon et les deux excellentes interviews réalisées par Didier Leprêtre : « Mais qui est la Rose ? » et « Le seigneur des anneaux » parues respectivement en 1998 dans Dreams to Dream…s et en 2001 dans Dreams Magazine.
 
Crédits photo :
Le Nom de la Rose: © Neue Constantin Film / ZDF
Stalingrad: © Paramount Pictures / Mandalay Pictures / Reperage
Or Noir:  © Quinta Communications / Prima TV / Carthago Films / France 2 Cinéma / The Doha Film Institute
Le dernier loup: © China Film Group Corporation / Edko Films / Reperage

2 réflexions sur “J. HORNER / J.-J. ANNAUD : LES NOMS DE L’AMITIÉ”

  1. Fabuleux article, passionnant, informatif et en plus une page belle à l’œil. Du beau travail, merci ! Et une pensée émue pour James Horner, parti visiter d’autres paysages…

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Retour en haut