Todd-AO Scoring Stage, CBS Radford, Studio City.
S'il vous arrive de lire en détail les livrets de vos albums de James Horner, vous avez forcément rencontré plusieurs fois le nom de ce studio. En effet, le compositeur y a enregistré plus d'une quarantaine de bandes-originales de film, soit quasiment la moitié de sa discographie. De Swing-Kids (1992) à The Spiderwick Chronicles (2007) en passant par Deep Impact (1998), retour sur ce lieu historique où les notes géniales du maestro ont résonné par milliers.
[divider]Les origines du Scoring Stage[/divider]
Dans les années 20, le producteur Mack Sennett propriétaire de Keystone Studios et maître des comédies du cinéma muet, qui a notamment lancé la carrière de Charlie Chaplin, délocalise ses productions dans la vallée de San Fernando en Californie sur un terrain de 15 hectares. Il y construit un studio de cinéma à l'endroit qui deviendra l'intersection de Ventura Boulevard et Radford Avenue. L'inauguration de Studio City a lieu en mai 1928 et le quartier de la ville de Los Angeles situé à l'ouest de ces nouveaux studios adopte alors le même nom. Après la faillite de Keystone en 1935, Mascot, Monogram Pictures et Consolidated Film Corporation occupent les installations puis fusionnent pour créer Republic Pictures. Le terrain est alors rebaptisé Republic Studios.
C'est à cette époque, vers la fin des années 30, que le Scoring Stage est construit. Destiné initialement à l'enregistrement de musique classique, il est finalement utilisé pour la musique de films. Il devient en l'espace de quelques années un lieu réputé, Republic Pictures obtenant même en 1945 un Oscar spécial pour avoir construit « un auditorium exceptionnel qui offre des conditions d'enregistrement optimales ». En 1948, Aaron Copland vient y enregistrer la bande-originale de The Red Pony. Pendant plusieurs décennies, le Scoring Stage et les studios environnants consacrés à la postproduction sonore sont occupés par la société Glen Glenn Sound qui a travaillé sur plus de 20 000 films et séries de télévision.
Le Republic Studio en 1945
En 1958, Republic Pictures cesse son activité. Le premier locataire des studios devient alors Columbia Broadcasting System, qui se lance dans la production de films. L'ensemble des installations est renommé CBS Studio Center avant même le rachat complet des 28 hectares en février 1967 pour quasiment 10 millions de dollars.
[divider]Le Todd-AO Scoring Stage[/divider]
En 1987, Glen Glenn Sound est racheté par Todd-AO la plus grande société de postproduction sonore des États-Unis. A son origine dans les années 50, Todd-AO était d'abord un format de pellicule de film 70 mm proposant une définition inégalée à l'époque. L'idée de son concepteur Michael Todd (mari d'Elisabeth Taylor, décédé en 1955) était de proposer une immense superficie de projection et six pistes sonores afin d'entourer le public et lui donner ainsi l'impression d'être dans l'image. L'acronyme Todd-AO provient du nom de famille de son concepteur associé aux initiales de la société d'optique American Optical qui a exploité le brevet.
En 1991, trois millions de dollars sont investis dans la rénovation du scoring stage. Son inauguration le 23 juin 1992 marque l'ouverture du plus grand studio au monde dédié à l'enregistrement des musiques de films. Il peut accueillir confortablement un orchestre de 150 musiciens. Le principal consultant engagé dans cette rénovation était l'ingénieur du son Shawn Murphy. De nombreux ingénieurs, compositeurs, musiciens, techniciens ont été également consultés pour apporter leurs idées et suggestions. L'endroit devient très apprécié par de nombreux compositeurs : Jerry Goldsmith y enregistre de nombreuses musiques comme L.A. Confidential ou encore Mulan. La bandes-originale oscarisée The Lion King y est également enregistrée.
Photo de Thomas Hauerslev, in70mm.com
Durant plusieurs décennies, le Todd-AO Scoring Stage a donc accueilli sur son parquet des compositeurs légendaires et a donné naissance à des bandes originales inoubliables. En s'y installant au début des années 90, James Horner perpétue ce cycle de création.
[divider]James Horner et le Todd-AO[/divider]
Durant les années 80, le compositeur ne s'était jamais implanté dans un lieu précis avec une équipe fixe. En effet, excepté quelques relations de travail régulières avec Greig McRitchie ou Ian Underwood, James Horner changeait au grès des productions de monteurs, d'ingénieurs du son et de lieux d'enregistrement. Il alterna ainsi entre le Record Plant de Los Angeles, le MGM Scoring Stage à Culver City et bien sûr les studios Abbey Road à Londres où il enregistra Brainstorm (la version album), Aliens, An Americain Tail, Willow, The Land Before Time ou encore Honey I Shrunk The Kids. Avec l'arrivée définitive de Jim Henrikson en 1988 à ses côtés, ces alternances et irrégularités se sont estompées.
« Lorsque Willow fut terminé, James m’a demandé si je voulais être son monteur pour ses projets futurs et je fus très heureux d’accepter. Il n’avait pas d’équipe, alors j’ai commencé à assumer la responsabilité de prendre contact avec des orchestrateurs, des music contractors, des copistes, des studios d’enregistrement et du personnel de post-production. »Jim Henrikson (2014)
Dave Marquette, Simon Rhodes, James Horner, Joe E. Rand, Jay Selvester, Jim Henrikson, Randy Kerber, Ian Underwood, Kirsten Smith, Barbara McDermott
Petit à petit, une équipe fidèle s'est formée autour du compositeur et, à la suite de la rénovation du Todd-AO Scoring Stage en 1992, une collaboration durable avec le studio s'est faite naturellement. Le compositeur y a sans doute trouvé le lieu idéal pour laisser son œuvre s'épanouir sur la durée comme jamais auparavant, tout en profitant de conditions d'enregistrement exceptionnelles. Sur la quinzaine d'années passées à Todd-AO, ce n'est donc pas forcément le nombre de musiques enregistrées qui impressionne mais plutôt la continuité, la constance qui se sont développées entre le compositeur et le studio.
« Depuis mon arrivée ici il y a 18 ans, je n'ai jamais enregistré dans un autre studio de Los Angeles et quand j'ai commencé à travailler ici, je me suis senti comme à la maison. »James Horner (2007)
Les rares infidélités de James Horner envers Studio City ont lieu sur des projets qui nécessitaient de s'expatrier à Londres, ville de sa jeunesse, pour des raisons sans doute artistiques, logistiques ou liées aux volontés des producteurs du film. Ainsi sa collaboration déjà bien entamée lors des années 80 avec Abbey Road a pu se prolonger sur The Man Without Face, Legends Of The Fall, Braveheart, Balto, Enemy At The Gates, Iris, The Four Feathers… S'ajouta aussi le magnifique Lyndhurst Hall de AIR Studios pour We’re Back! A Dinosaur’s Story, The Pagemaster, Back To Titanic et The Mask Of Zorro.
Outre sa proximité d'Hollywood, Todd-AO Scoring Stage offrait deux arguments majeurs pouvant expliquer l'attachement du compositeur pour ce lieu : son acoustique exceptionnelle était du même niveau que celles des studios de Londres et l'équipe constituée de Andy Bass, Marc Gebauer, David Marquette, Jay Selvester et de la responsable Kirsten Smith se montrait très compétente.
"La première chose que j'aime dans ce studio est l'acoustique. Il s'agit des conditions qui se rapprochent le mieux de celles auxquelles je suis habitué dans les studios EMI d'Abbey Road à Londres. De plus, le personnel est absolument la crème de la crème."James Horner (2007)
Kristen Smith, la responsable du studio, nous a parlé du plaisir ressenti lorsqu'elle était à la tête du Scoring Stage :
« C'était le meilleur travail qu'une fille pouvait rêver. Pouvoir venir travailler tous les jours pour voir un d'orchestre composée de plus de 100 musiciens et entendre ce que James avait écrit pour eux était assez incroyable. »
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1: Jim Henrikson, Ian Underwood and Kirsten Smith
2: Randy Kerber and Simon Rhodes
3: Kirsten Smith and Jay Selvester (The Forgotten)
Todd-AO offraient ainsi des conditions idéales de travail. Pour James Horner et son équipe, le studio était comme une deuxième maison, un lieu accueillant et convivial. Durant toutes ces années à Todd-AO, le monteur Joe E. Rand avait pris l'habitude de se déguiser en fonction du thème du film :
« Joe avait comme tradition de s'habiller suivant le thème du film sur lequel nous travaillions, nous confie Kristen Smith. Le premier dont je me souvienne était sur Clear And Present Danger, Joe était en tenue de camouflage et la salle de contrôle était décoré comme un camp de marines. Sur Mighty Joe Young il s'agissait d'un costume de singe. »
Simon Rhodes, le fidèle ingénieur du son de James Horner depuis Deep Impact se souvient également de cette coutume :
« Pour Perfect Storm, Joe est venu dans une combinaison de plongée complète avec masque et tuba. Quand il était déguisé en singe sur Mighty Joe Young, il a dirigé l'orchestre et cela a bien fait rire tout le monde ».
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1: Joe E. Rand on Clear And Present Danger
2: Jim Henrikson and James Horner in the Control Room
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1: Joe E. Rand on Clear And Present Danger
2: Jim Henrikson and James Horner in the Control Room
Au-delà des nombreuses partitions enregistrées dans ce studio, c'est donc ce sentiment d'attachement profond du compositeur et des collaborateurs qui transparaît le plus. Une relation affective qui s'est même matérialisée sous la forme d'une collection d'objets amassées au cours au fil des sessions d'enregistrements :
"James avait accumulé des objets assez cool qui étaient stockés derrière l'écran et ressortis à chaque fois que nous revenions pour travailler, ajoute Simon Rhodes. Ils étaient là pour nous amuser ou pour nous détendre comme le faisait toujours les lampes à lave. James avait même demandé à l'ingénieur technique du studio, Marc Gebauer, d'en améliorer certains. Mon préféré était une petite main qui reposait en permanence sur le fader principal du bureau. Elle ne nous as jamais quitté."
En 2006, les dirigeants de CBS choisissent James Horner pour enregistrer à Todd-AO les musiques du journal d'information CBS Evening News With Katie Couric. L'ironie du sort a voulu qu'un an plus tard ces mêmes dirigeants ne renouvellent le bail du studio, mettant ainsi un terme à plus de soixante années au service de la musique de films.
James Horner déclara à l'époque de The Spiderwick Chronicles, sa dernière musique enregistrée à Todd-AO :
« Je suis dévasté! Cet endroit va disparaître. C'est une perte énorme. »
L'œuvre du Maestro, elle, se poursuit…
Mes chaleureux remerciements à Kirsten Smith et Simon Rhodes. Les images sont publiées avec l'autorisation de Kirsten Smith.
Sources: