UN CD POUR LE GARCON AU PYJAMA RAYÉ !

Le label Intrada annonce la sortie, pour la première fois en CD, de la musique composée par James Horner pour Le Garçon Au Pyjama Rayé (The Boy in The Striped Pyjamas), écrit et réalisé par Mark Herman (Brassed Off). Comme ce fut le cas pour la partition de Living In the Age of Airplanes sortie il y a deux semaines également chez Intrada, ce nouveau CD reprend l’exact programme, c’est-à-dire l’album conçu par James Horner, déjà disponible en téléchargement en 2008 (un CD-R promotionnel fut aussi produit à l’époque en vue d’une nomination aux Oscars).
 
Fondé sur le roman pour la jeunesse de l’écrivain irlandais John Boyne, Le Garçon Au Pyjama Rayé relate le déménagement pour la Pologne d’une famille berlinoise aisée pendant la seconde guerre mondiale, où le père, officier nazi, se révèle être le commandant du camp de concentration et d’extermination d’Auschwitz… La force du film repose sur le regard du personnage principal, Bruno, le benjamin de la famille âgé de 8 ans, et sur la musique sobre et délicate de James Horner. Tandis que la famille se déchire, notamment autour du sort d’un médecin juif devenu l’esclave du foyer puis sur le camp lui-même, Bruno se lie d’amitié avec Shmuel, un jeune garçon juif de son âge (le fameux garçon au pyjama rayé du titre) prisonnier d’Auschwitz. Les deux garçons dépassent leurs conditions opposées, comme seuls des enfants savent le faire, et se lient d’amitié en dépit de la clôture barbelée qui les sépare. Bruno, d’abord insouciant car ignorant le contexte dans lequel il est plongé, prend peu à peu conscience de la situation épouvantable dont souffre son ami, sans jamais comprendre toute l’horreur de la situation… jusqu’à l’effroyable scène finale.
 
 
Lorsque James Horner est annoncé comme compositeur sur Le Garçon Au Pyjama Rayé, chacun peut s’imaginer que le compositeur tient là l’occasion de composer une partition noble et émouvante. James Horner, s’il s’inscrit assez logiquement dans la lignée de sa partition pour Swing Kids, préfère plutôt que de traiter du contexte, se concentrer comme à l’accoutumée sur son personnage. James Horner devient Bruno et, pour le thème principal du film, évoque merveilleusement l’enfance et la passion du jeune garçon pour les avions qu’il imite avec ses camarades à la sortie de l’école en écartant les bras, notamment dans la scène qui ouvre le film. Après une introduction de quelques mesures jouées aux synthétiseurs qui installent une tension sourde, Boys Playing Airplanes expose le thème principal, superbe, où le piano interprété par le compositeur lui-même, et les cordes tiennent la part belle, soutenus par la clarinette (au moment où le ghetto juif est montré). Ce thème illustre à merveille le point de vue enfantin de Bruno sur son monde.
 
Une fois la famille installée en Pologne, Bruno parvient à pénétrer dans les bois jouxtant la maison, désobéissant à l’interdiction formelle des parents. Comme n’importe quel enfant, il joue avec des bâtons et marche sous le soleil. James Horner en profite pour jouer avec le kaléidoscope de lumières que la canopée des arbres laisse passer sur Bruno dans Exploring the Forest. A ce moment, le morceau n’est pas sans rappeler d’autres partitions de Horner, comme Un Homme d’exception (A Beautiful Mind), partition pensée pour justement reproduire musicalement l’effet de l’instrument optique réfléchissant à l'infini et en couleurs la lumière extérieure. Il s’achève doucement, avec la découverte du camp et de ces « fermiers », comme les appelle Bruno, dans leur drôle de costume.
 
Le troisième morceau de l’album, The Train Ride to a New Home, accompagne une scène antérieure à Exploring the Forest, celle de l’arrivée de la famille en Pologne par le chemin de fer. Après les synthétiseurs dissonants, c’est l’occasion de citer à nouveau le thème principal au piano (d’où le choix probable d’Horner d’inverser les pistes 2 et 3 par rapport au film).
 
Dans The Winds Gently Blow Through the Garden, Horner déploie un matériau dramatique, qui illustre l’horreur rampante dont prennent peu à peu conscience Bruno et sa mère. Largement construit pour le piano soutenu par les cordes, le morceau s’étend sur presque six minutes où le pathos ne verse jamais dans le lacrymal.
 
Pour An Odd Discovery Beyond the Trees, tandis que le film montre le camp vu de la maison, Horner convoque une voix féminine, et ce son synthétique qui évoque le vent (ou est-ce le souffle ?) qu’il a si souvent utilisé, en plus du piano.
 
La sœur de Bruno, plus âgée, tombe amoureuse d’un jeune officier nazi au service de son père. Elle se débarrasse de ses poupées de petite fille pour tapisser sa chambre de posters de propagande à la gloire du Reich. Bruno, qui explore la cave, tombe sur l’empilement de ces poupées, déshabillées et jetées là, dans un amalgame de plastique couleur chair qui fait écho à l’empilement des corps gazés d’Auschwitz que le film ne montre pas, mais qui renvoient aux photographies ou aux films insoutenables qui nous sont parvenus après la guerre. Pour illustrer cette scène, Dolls Aren’t for Big Girls, Propaganda is…, Horner rappelle la voix féminine du morceau précédent, mais s’appuie davantage sur les cordes que sur le piano, provoquant un sentiment de malaise de plus en plus profond. L’inéluctable est en marche.
 
 
Avec Black Smoke, Horner joue avec son thème principal en le superposant à une nappe synthétique dissonante et à une seconde mélodie au piano plus inquiétante, accompagnée par la voix féminine. Pendant cette scène, la mère de Bruno réalise que l’odeur épouvantable de la fumée noire qui s’échappe des cheminées d’Auschwitz provient de la crémation des corps.
 
A ce stade du film, le père qui a tenu à garder un semblant de normalité de sa vie de famille, expose son vrai visage, lorsqu’il décide d’envoyer son aide de camp sur le front russe, ou lorsque des dignitaires nazis viennent contrôler son travail, lui intimant l’ordre d’augmenter la capacité du camp à exterminer les Juifs. Le morceau Evening Supper / A Family Slowly Crumbles s’étend sur près de huit minutes, longue plage sonnant d’abord comme un adagio pour cordes, puis le piano reprend seul le thème principal, dans une version lente, avant le retour des cordes et de la voix soliste.
 
Lorsque la grand-mère paternelle de Bruno, opposée aux idéaux de son fils nazi, meurt, la famille retourne à Berlin pour les funérailles. The Funeral s’ouvre à propos sur le motif à quatre notes, à la trompette, tandis que la mère et le père de Bruno se déchirent au cimetière, sur fond de cordes. Le Führer a fait déposer sur le cercueil une note manuscrite: la mère s’indigne de ce geste que la grand-mère aurait détesté. Le mari explique à sa femme le danger qu’ils encourent eux-mêmes s’ils venaient à défier l’hommage, et sur cette situation mortifère, Horner conclue la scène avec une autre citation des fameuses quatre notes.
 
 
The Boys’ Plans, From Night to Day illustre la stratégie de Bruno et Shmuel pour se rejoindre, car le père de Shmuel a disparu dans le camp et Bruno veut aider son ami à le rechercher. Bruno a l’idée de demander à Shmuel de lui préparer un pyjama rayé pour pouvoir évoluer dans le camp sans se faire repérer. L’espoir que ce plan réussisse ne fait pas de doute pour les deux enfants, et Horner restitue parfaitement cet espoir avec ce morceau lumineux, presque joyeux. C’est que Bruno a auparavant pu visionner en cachette les films de propagande de son père qui vantent la vie dans les camps. Sauf que le garçon les a pris au premier degré, persuadé à tort qu’il s’agit d’une sorte de camp de vacances…
 
Alors que les dix pistes qui précèdent ont aidé à construire un climat de tension avec certes quelques phases plus lumineuses, les deux dernières pistes sont bouleversantes, d’une gravité restituée sobrement mais implacablement. Strange New Clothes nous entraîne vers l’indicible pendant dix minutes. Cordes, bois et piano jouent avec le thème principal tandis que les deux garçons progressent dans le camp. Bruno, qui reconnaît des baraquements qu’il a vus dans les films de propagande, ralentit parfois, réalisant le décalage entre la fiction enjouée et la sordide réalité. La musique se suspend alors. Quand les deux garçons rencontrent les premiers prisonniers, le choc de Bruno est immense. Ces adultes sont décharnés, quasi immobiles car épuisés. Rien à voir avec les parties joyeuses de football vantées sur pellicule. Parallèlement, la mère de Bruno découvre son absence et comprend à travers une fenêtre ouverte que Bruno est parti en direction du camp. Elle prévient son mari et avec la sœur, ils partent à la recherche de Bruno. Mais Shmuel et Bruno se retrouvent pris au milieu de prisonniers qui sont subitement emmenés. Shmuel et Bruno, entourés de ces adultes terrorisés, se déplacent dans le camp escortés par les soldats et entrent dans un autre bâtiment et tout le monde doit se déshabiller. Certains pleurent, d’autres expliquent que ce n’est rien. Après que les parents de Bruno ont retrouvé les vêtements de leur fils à la lisière du camp, le père comprend ce qui se joue et se précipite avec ses hommes. Les deux garçons se tiennent la main tandis que la lumière s’éteint. Bruno lève les yeux vers une ouverture, le gaz mortel y est introduit et les cordes déchirantes de James Horner hurlent, littéralement, une dernière fois tandis que des coups sont donnés contre la porte depuis l’intérieur de la chambre à gaz, puis se taisent. Ce long morceau, d’abord subtil puis d’une intensité insoutenable, compte parmi les plus intenses que le compositeur ait écrits.
 
 
Le film s’achève sur les portes closes de la chambre à gaz tandis que débute Remembrance, Remembrance, qui couvre le générique de fin. Cette ultime piste expose, après une brève reprise des cordes, le plus long développement du thème principal, comme une réminiscence du regard de Bruno. Il continuera longtemps de hanter l’auditeur.
Quasiment dix ans après la sortie du film, grâce au label Intrada, le CD de la musique du Garçon Au Pyjama Rayé est l’occasion de réentendre l’une des plus poignantes partitions de James Horner.
 
1/ Boys Playing Airplanes (4:13)
2/ Exploring the Forest (2:36)
3/ The Train to a New Home (3:33)
4/ The Wind Gently Blows Through the Garden (5:56)
5/ An Odd Discovery Beyond the Trees (2:51)
6/ Dolls Aren’t for Big Girls, Propaganda is… (3:42)
7/ Black Smoke (1:42)
8/ Evening Supper/A Family Slowly Crumbles (7:52)
9/ The Funeral (1:53)
10/ The Boys’ Plans/From Night to Day (2:36)
11/ Strange New Clothes (9:52)
12/ Remembrance, Remembrance (5:30)
Total Time= 52:22
 
 
Remerciements particuliers à Roger Feigelson et

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Retour en haut