WILLOW EDITION 2 CD : NOTRE CRITIQUE

Trente-quatre ans après la sortie du premier album chez Virgin Records en 1988, Intrada publie une version étendue de Willow. Une longue attente pour tous ceux qui désiraient écouter la musique manquante disponible seulement à travers le film, ou en écoutant The Story of Willow, une narration de l’histoire reprenant les effets sonores, les dialogues et la musique du film, publiée en 1988 par Buena Vista aux formats vinyl, cassette audio et CD.
Nous ne parlerons pas ici de la création de ce score, véritable défi symphonique imposé aux musiciens du L.S.O. par un compositeur perfectionniste. Un chapitre de 12300 mots à ce sujet attend patiemment sa publication dans le livre James Horner: The Emotionalist, prévu en 2023 (si tout va bien). Nous ne parlerons pas non plus des références classiques qui parsèment cette partition car nous avons déjà consacré un article à ce sujet en 2013. Enfin, nous ne parlerons pas des morceaux déjà présents sur le premier album. Si vous le souhaitez, lisez à ce sujet un article publié en 2016, écrit par Kjell Neckebroeck et qui décrit longuement le morceau « Elora Danan ».
Aujourd’hui, nous sommes ici simplement pour parler des nouveautés présentes sur cette nouvelle édition. Il y a 35 minutes supplémentaires de musique, toutes présentes sur le CD1 et réparties en trois blocs. Les deuxième et troisième blocs affichent une durée de 10 et 16 minutes, ce qui donne un grand plaisir d’écoute, comme si de grandes fenêtres sur l’univers de Willow s’ouvraient pour la première fois devant nous.
 
 
Le premier bloc, le plus court, commence par les deux morceaux associés à la fête au village des Nelwyns. Le premier (« The Nelwyns ») est celui que nous retrouvons en partie au début du générique de fin. Dans les deux morceaux, la recette est la même : guitare basse acoustique, guitare basse électrique, penny whistles, ocarina, fiddle, didgeridoo, bouzouki et une chalémie (medieval shawms), cet instrument au son aigu qui enclenche un long solo juste avant l’arrivée de l’orchestre en fondu dans le générique de fin.
Le second morceau, « The Nelwyns No. 2 », est entendu après la cérémonie où le grand Aldwin choisit son nouvel apprenti. Mais son apparition est très courte dans le film, aux alentours de dix secondes, car la fête est rapidement interrompue par l’arrivée d’un chien de Bavmorda. La nouvelle édition permet donc d’écouter plus longuement ces passages musicaux où le rôle de James Horner a été essentiellement de donner des indications de base aux musiciens, pour ensuite laisser exprimer leur talents d’improvisation.
Le premier morceau orchestral de cette nouvelle édition est donc « Death Dogs », qui conclut le premier bloc. Dans le film, ce morceau accompagne la scène où le chien sème la panique dans le village. Il recherche un bébé avant d’être tué par les guerriers des Nelwyns. James Horner utilise la partie « scènes d’action » de sa palette sonore en reprenant notamment des éléments d’Aliens (1986) avec l’enclume, la timbale soliste puis les violoncelles et les contrebasses utilisées comme un instrument à percussion en jouant col legno, c’est à dire avec le bois de l’archet qui frappe les cordes. Le « Death Motif » de quatre notes est déchainé. L’utilisation du shakuhachi et du cor alpin ajoute un côté sauvage. Le rythme joué par le piano dans le grave sera repris dans « Wolves Attack the Horses » pour le film Wolf Totem (2015). La double apparition du thème guerrier et malfaisant représentant Bavmorda et son armée accentue le côté menaçant. Le morceau se conclut par un élan de cordes exprimant l’inquiétude de Willow, qui se précipite chez lui s’assurer que sa femme et Elora sont saines et sauves. Les quatre notes concluent sobrement ce court mais intense morceau.
 
 
Le second bloc de morceaux inédits commence par « Bavmorda’s Castle », veritable plongée dans le sombre univers de la sorcière. Dans le film ce morceau se place chronologiquement au milieu de « Willow's Journey Begins ». C’est la scène où Bavmorda demande au général Kael d’aider sa fille Sorsha à retrouver le bébé. Logiquement le thème de la reine malfaisante est une nouvelle fois entendu. Le jeu des trompettes rappelle le prélude de Citizen Kane (1941) de Bernard Herrmann. Les quatre notes sont hurlées par le hautbois, le cor, les trompettes et les trombones dès les premières secondes, puis jouées dans le très grave par les violoncelles, contrebasses.
 
« Airk's Army » commence sur une ambiance particulière à base de percussions, didjeridoo, shakuhachi, et voix tibétaines gutturales échantillonnées. Les cors et trombones apparaissent à la 36ème seconde et marquent le retour de l’orchestre. Les quatre-vingt-dix secondes suivantes sont absentes du film et ont été remplacées par un son de percussion répétées et les voix tibétaines. La musique d’origine proposait le thème d’Elora Danan à l’apparition du visage de Airk. Le thème lumineux aurait ainsi exprimé l’espoir de Madmartigan d’être libéré et celui de Willow de trouver un soutien. La musique se serait assombrie quand Airk décide laisser Madmartigan prisonnier. Enfin les quatre notes auraient surgi quand Airk commence à s’éloigner à cheval. La deuxième partie du morceau (à partir de 2:06) est connue car présente dans le film. La flûte joue le thème de Willow avec un accompagnement d’organistrum suivi de quelques secondes de harpe et de dulcimer. Le thème est ensuite joué par le cor anglais et le cor avec une rentrée de clarinette. Ces très belles et délicates couleurs semblent annoncer les doux moments de Karate Kid (2010).La flûte joue ensuite la première apparition du thème de Madmartigan sous une forme espiègle, soutenue par le célesta et des pizz de violons.
 
Le troisième et dernier morceau de ce deuxième bloc de nouveautés est le magnifique « Enchanted Forest ». Un morceau qui passe par différentes ambiances, comme un petit voyage plein de péripéties. Il débute par le thème de Willow joué magnifiquement par le cor solo, vite rejoint par la flûte de pan, le tout soutenu délicatement par le shakuhachi. C’est le moment de séparation entre Willow et Elora Danan, qui se voit emportée par Madmartigan. Un glissé de harpe marquant le changement de scène mène à un magnifique élan des cordes jouant la deuxième partie du thème de Willow. Le thème de Madmartigan revient sous une forme enjouée rappelant l’esprit léger de Prokofiev. Il est intéressant de noter que ce thème héroïque apparait quand Meegosh, le meilleur ami de Willow, dit le mot « héros ». Comme nous l’expliquons dans le livre, les thèmes sont malléables dans le temps et se reconfigurent au gré des aléas des rencontres et des chocs affectifs comme dans Der Ring des Nibelungen (1857) de Richard Wagner. Il est donc difficile de les rattacher définitivement à un personnage. Une flûte joue le thème de Willow quand soudain les couleurs des Brownies font leur apparition. Elles étaient complètement absentes du premier album. James Horner attribue à ces êtres miniatures de la forêt une suite de notes disjointes pour saxophone, cornemuse et trompette en sourdine, trois instruments au timbre nasal parfait pour représenter la caractère burlesque de ces personnages. Il ajoute des interventions rieuses des ocarinas et des conques et également de petites percussions (temple block, bloc chinois, bongo). Ces instruments liés à l’élément bois rappellent les couleurs de John Williams pour les Ewoks de Return of the Jedi (1983), une autre production de George Lucas. Ces instruments reviendront ensuite toujours sous la baguette de John Williams dans Hook (1991) pour les enfants perdus qui vivent… dans la forêt. Plus les Brownies tirent de flèches, plus le rythme de la musique s’accélère. Après être tombés dans un piège, Willow et Meegosh se retrouvent ligotés au sol. La nuit est tombée. Quand Willow voit les Brownies et surtout une mystérieuse lumière qui parcourt le ciel étoilé, James Horner reprend l’effet de harpe du « Magic Trick » dans le premier tableau de Petrouchka (1910-1911) du jeune Igor Stravinski. (Le compositeur français Debussy, de 20 ans son aîné, a d’ailleurs exprimé directement au compositeur russe son admiration pour l’orchestration de ce tour de passe-passe.) De son côté, James Horner reprendra l’idée au piano en 1995 dans Jumanji lors de chaque lancée de dés. Enfin Simon Franglen s’appropriera à son tour l’idée au début de « Magic Trick » dans The Magnificent Seven (2016).
 
Le dernier tableau de ce morceau laisse place à un chœur féminin pour l’apparition de Cherlindrea, la reine des fées. James Horner reprend le thème entendu dans l’introduction du film quand Elora Danan descend le fleuve et s’enfonce dans la forêt. C’est une citation de la Cantata Profana sous-titrée The Nine Splendid Stags (1930), une œuvre pour ténor, baryton, chœur et orchestre composée par le hongrois Béla Bartók, qui raconte comment un chasseur perd ses neufs fils transformés en cerfs. Ces derniers commencent alors une nouvelle vie dans la forêt. En conclusion du morceau, les chœurs disparaissent progressivement et répètent les notes qu’on entend à la fin de « Neptune » de Gustav Holst. James Horner reprend aussi l’idée introduite dans les toutes premières mesures de la partition avec un souffle en arrière-plan joué par les cors qui ressemble au vent qui balaye une plaine (une technique entendue au cinéma dès 1968 dans Planet of the Apes de Jerry Goldsmith).
 
 
Le dernier bloc de nouveautés est le plus imposant.
Les quarante-cinq premières secondes de « The Island » présentent les sonorités de flûte et de mark tree associées à la poudre d’amour des Brownies utilisée dans la caverne. Des cellules de ce passage seront utilisées plus loin dans le récit lorsque Willow présente Elora Danan à Fin Raziel et quand Madmartigan verra Sorsha en train de dormir sous la tente.
Les vingt-cinq secondes suivantes (jusqu’à 1:10) font entendre la flûte de pan et les effets au synthétiseur de la scène autour du feu de camp où Willow s’initie à la baguette magique et se retrouve projeté sur la branche d’un arbre. Les quatre autres minutes du morceau (de 1:10 à 5:10) accompagnent la scène de l’île de Fin Raziel au milieu du lac. L’espace sonore est d’abord dominé par les flûtes de Tony Hinnigan et Mike Taylor enregistrées dans le grand studio d’Abbey Road. Le Fairlight de Ian Underwood fait ensuite son apparition donnant l’impression agréable d’écouter une version 1.5 de Where The River Runs Black. Durant la dernière minute, les premières notes du thème de Willow sont répétées au synthétiseur quand il fait la connaissance de Fin Raziel.
 
Dans le court « Willow Captured » l’arrivée des troupes de Sorsha est logiquement soulignée par le thème des forces du mal de Bavmorda. La musique pour le dialogue entre Madmartigan et Sorsha rappelle celle des Klingons dans Star Trek III (1984). Le thème de Willow prend une forme désespérée lors de la capture des héros. Le thème de Bavmorda est joué simultanément pour montrer la victoire des forces du mal sur le jeune Nelwyn. Le morceau se termine sur le son des Brownies qui se retrouvent seuls.
 
Le court « The Trek » accompagne le montage du périple vers le camp de montagne de l'armée de Nockmaar. C’est un morceau qui était bien mis en valeur dans le film car il n’y a pas de dialogue, et peu de bruitages. Le « Death motif » est entendu de nombreuses fois, notamment pour l’arrivée de Kael.
 
« The Sled Ride » constitue la dernière nouveauté de cette édition et couvre toute la séquence du camp entre la tentative de transformation de Fin Raziel jusqu’à la descente en luge, en passant par la récupération d’Elora Danan sous la tente de Sorsha. Le début redonne une belle place aux couleurs boisées des Brownies avant que le thème de Madmartigan prenne progressivement de l’ampleur. Cela se fait tout d’abord de façon guillerette, car le héros est sous l’effet de la poudre magique, puis de façon chevaleresque quand il a enfin une épée entre les mains. Entre-temps, lors de la scène sous la tente, quand le héros déclare son amour à Sorsha, James Horner fait entendre dans le cor puis dans les cordes un très beau thème qui sera développé dans A Beautiful Mind (2001). A noter que lorsque Madmartigan voit Sorsha, la flûte et le mark tree associés à la poudre d’amour ont été rajoutés dans le montage sonore du film et sont donc absents sur la version proposée par l’album.
 
 
Pour résumer, les trente-cinq nouvelles minutes sont foncièrement intéressantes et méritent d’être découvertes sur disque. Elles développent l’univers musical de Willow avec notamment la musique des Brownies et de l’île de Fin Raziel. Cette variété de couleurs est appréciable car la précédente édition se centrait presqu’exclusivement sur la dimension orchestrale.
Même si le CD 2 ne présente pas de matériel nouveau, il se distingue par ces caractéristiques rarement rencontrées, c’est à dire 5 morceaux pour une durée de 55 minutes. Un véritable torrent symphonique.
La qualité sonore rappelle celle de la nouvelle édition de The Land Before Time, publiée en 2020, c’est à dire une meilleure clarté générale. Tous les détails de la musique sont maintenant facilement audibles.
Le notes du livret sont rédigées par Frank K. DeWald. Il s’appuie sur l’analyse et la partition publiée par Tim Rodier d’Omni Publishing pour apporter des commentaires précis sur les grands axes de la partition.
À l’écoute du film, il faut noter quelques éléments absents dans cette nouvelle édition : la musique de source (fanfare et percussions) lors de la cérémonie du grand Aldwin, les percussions lors du passage de l’armée de Airk à la croisée des chemins, la musique de source dans la taverne, puis les 20 secondes de la scène où Bavmorda gifle Kael (6m1 pour ceux qui possèdent la partition). Mais ces quelques secondes ne sont vraiment pas indispensables. Quand j’ai interrogé Roger Feigelson d’Intrada sur l’absence de la scène de la gifle, il a répondu : « Nous sommes conscients qu'il manque la gifle, c'est pourquoi nous ne prétendons pas que la version soit "complète" mais plutôt "étendue". Il s'avère que ce que vous entendez sur les CD est tout ce qui existe. Les sessions originales ont disparu depuis longtemps. Tout ce que l'on a pu trouver, c'est un Genex qu'Horner a compilé à partir des prises d'impression… comme s'il avait prévu à l'origine un coffret de 2 CD et qu'il avait ensuite réduit les choses pour l'album Virgin. Alors… c'est tout, les amis ! » J’ai eu envie de lui répondre : « Merci, c’est déjà largement suffisant ». Car 99,7% de la musique composée par James Horner est présente sur cette nouvelle édition… et le résultat est fantastique. Merci à toute l’équipe d’Intrada.
 
Special thanks to Roger Feigelson
 
 
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