Tout commence par une éclaboussure, un jaillissement. La musique nous saute au visage et nous aspire ensuite intégralement dans un tourbillon de 18 secondes, durant lesquelles on se demande quand et comment cela va finir. Cette ouverture sous forme de fanfare en furie, qui sonne le début de ce morceau de bravoure, reviendra deux fois, marquant à chaque fois une nouvelle étape vers les cieux.18 secondes épuisantes qui nous laissent déjà genoux à terre… Pas pour longtemps, car la suite, vertigineuse, va nous aider à nous redresser et nous amener très haut…
Avec tout d'abord ce thème qui nous emporte par son dynamisme, son phrasé irréprochable qui rassemble à mes yeux plusieurs des valeurs chères à James Horner : l'amitié, la grandeur d'âme, le partage. Alors qu'on aurait trop facilement attendu un thème martial pour des voltigeurs œuvrant en mémoire des héros tombés au cours de l'histoire de l'aviation américaine, James préfère ici mettre en avant l'idée de camaraderie, de projet commun. Ce thème est un hymne à l'entraide, au travail d’équipe dépassant la notion d'héroïsme souvent réservée à un seul homme. On ressent bien le plaisir qu'il a eu à s'immiscer dans la vie de ce trio. Il n'est pas le quatrième Horsemen pour rien.
Petite parenthèse sur la deuxième partie du thème car c'est ma préférée : phrase musicale superbement ponctuée comme seul James sait le faire et qui réussit à m'émouvoir à chaque fois car elle évoque pour moi toute la sensibilité de sa musique, mais également car elle éveille parfois des souvenirs de scores passés qui ont marqués à jamais ma vie. Je peux prendre pour exemple à 2'36 suivi des mesures descendantes à 2'46… pour moi ce sont des souvenirs liées à cette notion du temps qui s'écoule, de la vie qui passe, que l'on retrouve souvent dans ces œuvres (voir entre autres « The Changing Seasons » dans Legends of the Fall, la fin de « Growing Old » dans Bicentennial Man, ou d'une manière plus formelle la fin de « Take Her To Sea, Mr. Murdoch » dans la version du film Titanic). Connaître et retrouver ce sentiment à travers sa musique depuis deux décennies d'écoute, sans éprouver de lassitude, ont quelque chose de fascinant.
Tout au long de ce vol de 12 minutes qui nous est offert, le maestro s'attachera à faire varier ce thème des Horsemen par son rythme, son instrumentation, ses couleurs et donc son discours. Chaque retour du thème apportera des idées nouvelles. Toutes ces nuances construisent donc au fur et à mesure une richesse. Pas la richesse matérielle, liée à l'argent, mais celle que nous devrions tous rechercher, celle que l'on gagne à travers l'épanouissement acquis au cours des relations fructueuses que nous construisons avec notre entourage, avec nos amis, et qui à chaque nouvelle rencontre nous amène à les apprécier encore plus, à aimer partager la vie avec eux. Voilà une des principales idées de ce morceau : mettre en exergue ce sentiment de communion et le présenter comme trésor de l'existence. The Horsemen existe car c'est avant tout une équipe, trois hommes et une passion commune : voler.
Alors volons donc !
Prenez donc place ! Le commandant de bord est James Horner !
Il sait apporter de l'élégance avec les cordes (1'35), de la beauté (3'00 => 3'53) avec les pianos symbolisant l'envol, (réentendus récemment dans The Karate Kid lors du survol de la Grande Muraille de Chine), et des émotions avec cette mélodie planante (3'24) qui nous libère de l'apesanteur et qui émeut même Horner lors de sa direction.
(A noter le petit clin d'œil à I See You d'Avatar à 1'59)
La montée en altitude continue avec les premières réminiscences d'Apollo 13 (les trompettes à 4'10) qui concluent la première partie du morceau.
Puis revient le coup de « booster » pour franchir une nouveau palier vers les firmaments : la furie orchestrale est encore plus grande, le thème encore plus enlevé, encore plus nuancé. La deuxième partie de celui-ci, encore plus délicieuse (5'34 => 5'50). Débute alors un « All systems go / The launch » assagi de tout sentiment d'urgence, ici pas de compte à rebours, mais simplement ce sentiment irrépressible de s'approcher d'une chose merveilleuse. Le thème peut alors paisiblement refaire son apparition (7'03), sûr de son affaire, et reprendre un peu de vitesse (7'33) avant un dernier coup de fouet.
En effet, nouveau coup d'accélération (7'57) avec une clarté cette fois plus marqué du motif des cuivres pour accentuer le contraste avec la musique qui va suivre. Nous atteignons notre destination. Ici c'est le thème céleste tiré de Coming Home dans The Spiderwick Chronicles qui a la part belle. Dans ce film il avait une dimension spirituelle et magique car une vieille dame de 80 ans s'envolait et rejoignait son père perdu depuis des décennies dans un monde parallèle. Ils se retrouvaient tous les deux, à leur âge respectif lors de la séparation, pouvant vivre à nouveau ensemble. Dans ces quelques secondes féeriques James Horner raconte tout le côté spirituel de l'acte de voler. Voler c'est à la fois se perdre haut dans l'espace mais aussi se retrouver face à soi même, prendre du recul sur les choses. Le but n'est pas forcément l'exploit mais également le soi. Il n'y a plus de technologie, de réacteur, d'avion… simplement notre esprit et le ciel, qui sous sa baguette, devient un foyer accueillant.
Pilote attentif à notre confort, James négocie tranquillement la transition à travers une minute saisissante de jeu d'échos et de contre-point entre les cuivres (9'47 => 10'36) pour ensuite déboucher sur un crescendo dont il a le secret et rappelant celui entendu dans l'introduction mécanique de Bicentennial Man (The Machine Age). La mise en scène reprenant même à cet instant une rotation cyclique synchrone à la musique que l'on retrouvait déjà dans le début de ce film. L'issue est évidente : une ultime reprise du thème, victorieux de ce vol accompli sans accroc, et enrichi car plus expérimenté par une telle lutte contre la gravité.
L'orchestre s'envole dans son entier à 11'26 dans une emphase maîtrisée qui me rappellerait presque celles qu'on pouvait rencontrer à l'âge d'or de la musique de film. A 11'33, notre compositeur fétiche déroule un enchainement de sept notes de génie, tellement évidentes pour nos oreilles horneriennes. Le final grandiose (11'48) peut se passer de commentaires, l'air enjoué de ce musicien qui l'exécute, suffit amplement…
Merci Monsieur Horner, grâce à vous nous savons maintenant ce que signifie voler.