FOND MEMORIES EPISODE 7: 1983 – KRULL ET BRAINSTORM

Fond Memories a pour objectif de retracer la vie professionnelle du compositeur James Horner de la façon la plus exhaustive possible. Si vous avez des informations qui peuvent compléter cet épisode, merci de nous contacter.
Dans ce septième épisode nous nous intéressons à l'année 1983 et particulièrement à Brainstorm et Krull, deux oeuvres qui ont marqué le début de la carrière de James Horner.
 
Bandes-originales abordées dans cet épisode :
Krull (1983)
Brainstorm (1983)
 
[divider]1983: KRULL ET BRAINSTORM[/divider]
 
Les succès publics de Star Trek II: The Wrath of Khan (voir épisode 6) et de 48 HRS, les deux productions confiées au jeune James Horner par Joel Sill, vice-président du département musique de Paramount Pictures, ont été décisifs pour la suite de la carrière du compositeur. En effet, après ces deux longs-métrages datant de 1982, le nombre de projets s'est envolé. Hollywood lui ouvre ses portes et fera de 1983 une cuvée remarquable avec pas moins de sept compositions pour le cinéma et une pour la télévision.
Au-delà de la quantité, l'ambition des projets est également un élément nouveau. Les productions kitch à faible budget de Roger Corman (voir épisode 3), véritables terrains d'expérimentation et d'apprentissage, sont à présent remplacées par des productions au budget important : Krull a par exemple un budget colossal pour l'époque, estimé à 23 millions de dollars, et Something Wicked This Way Comes et Brainstorm profitent également de budgets confortables s'élevant respectivement à 19 et 15 millions de dollars.
« J'enchaînais film à petit budget sur film à petit budget et je pense que la seule raison de mon succès est que je savais comment tirer le meilleur d'un orchestre avec très peu d'argent. Enfin je n'avais pas le choix… Je devais m'arranger pour que l'orchestre joue ma musique sérieuse, donc… Je suis passé de film d'horreur à petit budget à des films d'horreur et j'ai progressivement réussi à me faufiler sur des films plus sérieux. » 1
 
 
Pour respecter l'emploi du temps chargé à cause de la succession de projets et pour l'aider à répondre à l'ambition artistique et musicale toujours plus grande des films auxquels il participe, James Horner fait appel au compositeur-orchestrateur Greig McRitchie, fidèle collaborateur de Basil Poledouris (Conan The Barbarian).
« J'écris environ 2,5 à 3 minutes de musique par jour quand je fais les orchestrations. Quand je ne fais pas les orchestrations, ça va plus vite. Par exemple, je n'écris pas une ligne de piano sur une ou deux lignes pour ensuite m'en debarrasser auprès d'un orchestrateur et le laisser en faire ce qu'on finit par entendre. Je préfère choisir les couleurs moi-même. Je décide quels instruments jouent quoi et comment sont les parties vocales. Evidemment, si j'ai beaucoup de musique à écrire en très peu de temps, je n'avance pas et je manquerai vite de temps. Donc dans des cas comme celui-là, je ferai autant d'orchestrations que possible, et j'écrirai des notes fournies sur ce que je veux sur la partition avec des flèches, « prière de doubler ça et ça ». J'en mettrai autant que je peux et il reviendra ensuite à l'orchestrateur de finir tout ça pour moi et de l'envoyer au copiste. » 2
L'apport de Greig McRitchie est palpable : il magnifie les choix orchestraux du compositeur et apporte toute son expérience et sa connaissance des couleurs instrumentales. Entamée à la fin de l'année 1982 pour 48 HRS de Walter Hill, leur collaboration se prolongera jusqu'à Casper en 1995, après un peu plus de vingt-cinq projets communs, soit un quart des partitions composées par James Horner.
Excepté Testament, drame réalisé par Lynne Littman, où James Horner signe seul les orchestrations intimistes, Greig McRitchie est le point commun entre toutes les partitions enregistrées en 1983. Il constitue, avec le musicien et programmateur Ian Underwood arrivé sur Wolfen en 1981, l'un des premiers collaborateurs réguliers du compositeur.
1983 marque également les premiers enregistrements avec le London Symphony Orchestra, au studio mythique d'Abbey Road à Londres, ville où James Horner a grandi et où il aurait aimé habiter définitivement.
« J'adorerais revenir à Londres, mais je ne peux pas. Enfin, je peux, mais je ne pourrais pas vivre de mon métier ici. Il n'y a pas de travail dans le cinéma ici, et la situation économique est difficile. 95 % des films qui sont faits viennent de Los Angeles. Paramount, la Fox ou les autres grands studios viennent bien en Angleterre pour tourner, pour les décors naturels et les châteaux, mais tout part de Los Angeles. Donc pour pleinement participer à ces films, on doit vivre là. C'est une épée à double tranchant pour moi, car je préférerais vraiment vivre à Londres. » 1
Des budgets importants, un orchestrateur talentueux, un orchestre de renom, voilà les ingrédients de qualité sur lesquels s'appuient les deux partitions marquantes que sont Krull et Brainstorm.
 
*****
La Bête, horrible créature cachée dans sa Forteresse Noire, et ses cavaliers masqués font régner la terreur sur la planète Krull. Seuls deux royaumes résistent encore et décident de s'unir à travers le mariage de leurs héritiers Colwyn et Lyssa. Mais au cours de la cérémonie, Lyssa est enlevée. Colwyn se lance alors sur les traces de sa promise aidé d'un cyclope et de toute une bande de rebelles.
Premier long-métrage de l'année 1983, Krull de Peter Yates (le réalisateur de Bullitt) est un film d' «heroic-fantasy» produit par le studio Columbia pour suivre le succès de Star Wars. En 1981, Paramount avait déjà tenté de profiter de l'élan généré par la célèbre saga de George Lucas mais elle s'était brûlé les ailes avec Le Dragon du lac de feu. L'histoire va se répéter avec Krull, qui fut très mal accueilli par la critique et le public.
À l'automne 1982, lorsque James Horner signe pour Krull juste après 48 HRS, le studio Columbia lui impose un timing très serré car le film a accumulé des mois de retard alors que sa sortie est prévue au début de l'été, en même temps que Le Retour du Jedi. Ainsi en seulement sept semaines, James Horner compose 110 minutes de musique orchestrale massive. L'artiste engage les Ambrosian Singers avec en plus quelques garçons de la Desborough School de Maidenhead pour les registres vocaux les plus élevés.
 
 
Le budget confortable de la production lui permet pour la première fois de faire interpréter sa musique par le London Symphony Orchestra. L'enregistrement a lieu fin décembre 1982 et début janvier 1983. A 29 ans, James Horner devient historiquement à l'époque, le plus jeune compositeur à diriger le L.S.O. Au terme de plusieurs journées d'enregistrement épuisantes, où il était affaibli par un virus hivernal, l'orchestre lui offra une standing ovation.
« Sur Krull, j'avais obtenu neuf jours d'enregistrements. Nous avons fait un travail épuisant. Lors de la dernière prise du Krull Main Title, soit le neuvième jour, j'eus droit à une standing-ovation après l'exécution du morceau. Croyez-moi, cela fut très touchant. » 3
Ce qui frappe à l’écoute de Krull est la richesse musicale. Certes, les délais pour les compositeurs de cinéma sont souvent une malédiction. Mais le pragmatisme et le talent de ces derniers, combiné à un excellent travail d’équipe, permet souvent de petits miracles.
Celui de Krull est d’arriver à combiner le cahier des charges de la partition d’ «heroic fantasy», disons en gros suivre le modèle symphonique établi par John Williams dans Star Wars, et la culture musicale propre au compositeur. En effet, James Horner emprunte l’habit majestueux de Richard Strauss et la grande forme du poème symphonique – on pense à Ainsi parlait Zarathoustra (Also Sprach Zarathustra) op. 30 dès les premières mesures, à Une symphonie alpestre, op. 64 (Eine Alpensinfonie) parfois – à l’écoute du rôle dominant des cors (fanfares) et des cordes (romantiques) et celui de György Ligeti (dans une certaine utilisation du chœur masculin, des dissonances et les séquences atonales).
 
 
Ces influences sont idéales pour embrasser l’arc narratif du conte, pour approfondir les sentiments particuliers créés par les scènes. Le récit déjà enrichi d’une véritable culture musicale, bénéficie aussi de petites touches cinéphiliques : les hommages à Errol Flynn et à Erich Wolfgang Korngold (l’esprit de The Adventures of Robin Hood dans Slayers’ Attack et Battle on the Parapets), des tutti orchestraux qui évoquent le Bernard Herrmann des films fantastiques tels que Mysterious Island (alternance des notes les plus aigües et des notes les plus graves comme dans Widow’s Web ou The Death of the Beast).
Notons aussi l'utilisation incontournable des Planètes de Holst (Mars avec l’arrivée de la Bête et de la Forteresse), œuvre devenue bien malgré elle une « librairie musicale » pour compositeurs de longs métrages fantastiques, ou la même référence au Sacre du Printemps de Stravinsky qu’utilisait Williams pour Tatooine dans Quicksand (puis citée dans Inside The Black Fortress).
«  Pour Krull j’ai pastiché The Planets de Holst plutôt que de les citer explicitement. C’est assez amusant et intéressant à faire. Les producteurs connaissent chaque note de chaque planète. Il n’y a pas une journée à Hollywood où l’on ne demande pas à tel ou tel compositeur de s’inspirer de l’oeuvre de Holst. » 4
« Je ne fais pas partie des compositeurs qui nient leurs citations par peur des critiques, ou de l’importance qu’elles ont dans leurs œuvres. Il ne faut pas citer à l’aveugle simplement pour se faire plaisir ou faire plaisir aux producteurs. On perd toute crédibilité, et la musique son intérêt. Krull a été en cela une très bonne partition. » 4
Enfin soulignons une petite touche propre à James Horner, ce fameux tutti de l’orchestre majeur / mineur à la Britten (déjà entendu dans Wolfen – 1981) dans Destruction of the Black Fortress.
 
 
Krull est le résultat d'un travail acharné, appliqué et sérieux, aboutissement d'un style qui s’ébauche pour l’ogre cinématographique depuis 1978. Tout ce qui s'est passé depuis les productions Corman et les films à petit budget se trouve enfin ici sublimé, valorisé, démultiplié par la richesse des idées et des effectifs mis à la disposition du compositeur.
Chaque séquence musicale vibre de l’énergie et de la jeunesse d’un compositeur de 29 ans qui veut tout donner. Cette générosité, cette profusion qui rendent l’écoute de Krull hors du film si jouissive (à l’égal des Conan The Barbarian, Star Wars, Young Sherlock Holmes, Indiana Jones ou autre Star Trek : The Motion Picture) rendent lucide sur la pauvreté du langage et les orchestrations ternes qui sont à l’œuvre malheureusement trop souvent de nos jours dans les « grosses productions ».
Entendez-vous aujourd'hui dans les salles obscures une marche aussi excitante que Ride of the Firemares, qui ouvrait le premier album sorti de la bande originale ? Une utilisation vertigineuse des chœurs, soit céleste avec les voix de femmes ou d’enfants, soit caverneuse et dantesque avec le chœur masculin ? Une harmonie aussi riche qui renvoie à la beauté du Daphnis et Chloé de Maurice Ravel ? Des orchestrations qui brillent comme une myriade de couleurs digne d'Ottorino Respighi (le début de Quest for the Glaive avec le célesta, la harpe, le chœur d’enfants par exemple)?
 
 
Revoyez le long générique et imaginez-le sans musique : il ne s'y passe pas grand-chose, une maquette se déplace dans l’espace, quel ennui… Mettez la musique et d’un coup l’image prend vie, l’Orchestre Symphonique de Londres et le chœur vous parlent de ce pourquoi vous aimez tant aller au cinéma : pour expérimenter l’art des magiciens et des sorciers (phrase du chœur d’enfants, les chanteurs sont comme les fées) et vivre, s’exalter et souffrir des exploits d’un valeureux chevalier amoureux (l’esprit de l’aventure avec la fanfare annoncée par les cors, les musiciens sont des guerriers). Et qui plus est, on permet au compositeur de s’exprimer sans effets sonores pendant plus de 5 minutes ! Peu de films ont autorisé depuis une ouverture aussi pleine, riche, aussi…musicale ! James Horner, dès cette ouverture, accomplit une promesse que Peter Yates et les producteurs n’ont pas pu tenir. Si le compositeur est talentueux, la musique a ce pouvoir d’expliciter et de dépasser ce qu’un film ne fait que suggérer…
 
 
Puis le récit se développe, la musique suit fidèlement l’action comme cela est requis pour ce type de narration. Le thème d’amour et ses cordes voluptueuses notamment pour Colwyn et Lyssa, qui expriment l’innocence et la fougue de la jeunesse (début de The Slayers Attack puis lors de leurs retrouvailles dans Inside The Black Fortress). Cordes voluptueuses que l’on retrouve avec l’enlèvement de la princesse Lyssa ou la tentative de destruction de la Bête avec l’arme magique, ce canon tout en tension qui monte en puissance, typique du Horner des années 80, dans Brainstorm surtout. Une autre forme d’amour, tragique, est celle qui a uni le sage Ynyr et la « veuve » qui porte également le nom de Lyssa, avec cette mélancolie du chœur féminin et des cordes.
Ce velouté de cordes qui ouvre The Widow’s Lullaby et Ynyr’s Death fait d’ailleurs le lien avec Collage, retour flamboyant au concert de James Horner 32 ans après Krull.
L’aspect fantastique permet des séquences musicales originales comme les notes suspendues et les harmoniques de The Walk to the Seer’s Cave, moment d’hypnose musicale, les arpèges de Seer’s Vision, le contrepoint entre un chœur masculin grave (la Bête) et un thème d’amour lointain dans les vents (Lyssa prisonnière) au début de Quicksand, ces moments mystérieux et angoissants dans The Changeling, les accords en écho dans Vella. C’est dans ces « petits moments », souvent atonaux, que l’on trouve les perles qui pourraient nous faire imaginer à quoi ressemble Spectral Shimmers, la fameuse pièce pour orchestre qui fut interprétée une seule fois en janvier 1979.
 
 
Dans le cadre souvent contraint de la production cinématographique, James Horner a réussi avec The Widow’s Web à imposer une séquence atonale, réjouissant hommage à la puissance de Ligeti : le travail sur le son (cordes du piano, jeux d’archet) les dissonances « forte » du chœur et de l’orchestre donnent à la scène une ampleur extraordinaire. 
« J'ai utilisé beaucoup de voix et de choses bizarres, ce genre d'écriture me fascine vraiment. (…) J'ai toujours essayé de convaincre les cinéastes de me laisser donner un sentiment mystique. L'araignée fut une situation où j'ai été autorisé à donner ce genre d'ambiance. Même lorsque l'araignée arrive à l'écran, l'ambiance reste. (…) Il est rare que cela se produise, car parfois les cinéastes sont très conservateurs. » 5
Stylistiquement la partition de Krull est fondatrice et anticipe le travail de Willow. Si cette dernière a de fabuleux moments (notamment l’ouverture) et un nouveau travail sur la couleur (l’addition de Tony Hinnigan et Mike Taylor du groupe Incantation face à l’orchestre et au chœur), elle n’arrive pas à faire oublier ce que fut ce moment miraculeux de la musique au cinéma qu’a été et restera pour toujours Krull, une rencontre exquise des talents d'un jeune compositeur et des meilleurs musiciens londoniens.
« Krull est un aboutissement de mon travail de débutant tout en imposant une forme concrète dans sa linéarité. Willow est certes plus complet dans ce domaine, mais Krull est un peu plus « fantaisiste » et cette partition est fort sympathique. »4
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BRAINSTORM
 
Réalisé par Douglas Trumbull, directeur des effets visuels de 2001: A Space Odyssey (1968), Close Encounters of the Third Kind (1977) ou encore Blade Runner (1982), Brainstorm retrace l'histoire de deux chercheurs qui ont mis au point un appareil permettant d'enregistrer et de reproduire, même à distance, toutes les sensations éprouvées par un cerveau humain. Tout se complique quand une de leurs collègues, au cours d'une crise cardiaque, a le réflexe d'enregistrer ses derniers instants…
Fait unique dans la carrière du compositeur, la musique de Brainstorm fut d'abord exécutée à Los Angeles, au studio de la MGM pour le film, puis réenregistrée numériquement à l'identique pour le disque avec le London Symphony Orchestra (LSO), accompagné par les Ambrosian Singers et le Boys Choir of New College d’Oxford, deux formations que James Horner avait connues au cours de ses études au Royal College.
« Brainstorm fut un énorme pas en avant, car nous avons employé le choeur et un grand orchestre et cela a coûté une jolie somme. » 6
L'enregistrement se déroula les 13 et 14 septembre 1983 à Abbey Road Studio soit neuf mois après celui de Krull. Entretemps, James Horner avait travaillé sur quatre autres projets à Los Angeles : sa première production Disney, Something Wicked This Way Comes, Testament, le téléfilm Between Friends (voir épisode 5) et Gorky Park. De retour à la direction du L.S.O., James Horner rencontra cette fois quelques difficultés avec des musiciens londoniens, turbulents, qui ne le prenaient pas vraiment au sérieux.
« Lorsque j'ai enregistré Brainstorm, le premier jour fut un cauchemar. Certains patriarches du LSO refusaient de suivre mes remarques. Je ne supporte pas l'indiscipline et j'ai dû hurler pour que l'on me respecte. Lorsque j'ai tout stoppé au bout de deux heures, j'ai lancé de mon pupitre : «Seriez-vous aussi indisciplinés avec John Williams ou serait-ce mon jeune âge qui vous gêne ?» Le soir même, tout le L.S.O. se levait suite à l'exécution de Lillian's Heart Attack. » 3
 
 
Brainstorm est une partition qui propose en dehors de la pure fonction dramatique une qualité musicale passionnante et rare. La richesse de son écriture, dans le format « réduit et limité » du cinéma mais qui nécessite une grande intelligence dramatique, nourrit une série de petits tableaux musicaux présentant une diversité stylistique qui fait appel à différentes époques : l’époque de l’écriture chorale de Palestrina, la période classique de Mozart jusqu’à Schubert, l’époque la plus contemporaine avec Ligeti, unies par des thèmes qui incarnent l’essence du film : thème métaphysique énoncé par le chœur dans le générique que l’on retrouve régulièrement dans le film, motifs rythmiques qui énergisent les scènes de suspense, écriture contemporaine qui évoque la réalité virtuelle et qui accompagne avec brio les créations visuelles de Trumbull, et enfin les moments romantiques du couple Michael / Karen.
« Dans un film comme Brainstorm, il y a des effets spéciaux très différents dont le but n'est pas tant d'être beaux, gracieux et majestueux que de posséder une certaine texture et de signifier l'inconnu. Les effets visuels sont d'avant-garde comparés à ceux de Star Trek. Une grande partie de la musique, même si elle paraît atonale, est en fait une combinaison de différents genres de musique écrits dans des styles différents, joués tous ensemble pour donner cet effet étrange. Vous entendez un accord, et puis cet accord s'efface. Vous entendez ce grognement sourd et ensuite vous entendez un autre genre d'accord. C'est difficile à décrire, mais c'est ce que j'ai essayé de faire, rendre le sentiment de revenir en arrière. » 7
Brainstorm fut l'occasion pour James Horner de rendre hommage à l’un de ses maîtres, avec qui il avait tant appris lors de son éducation classique quand il s’est rendu en Allemagne assister à ses cours: György Ligeti.
« Cette musique est presque un hommage à l’enseignement de Ligéti, sa technique de la dissonance, de la musique dans son côté le plus abstrait. Les oppositions de styles, les affrontements des lignes mélodiques… En fait de sa « théorie » j’ai créé une pratique. Il y a aussi cette forme de citation très typique qu’il nous demandait de faire. » 4
 
 
Rencontrer Douglas Trumbull, magicien des effets spéciaux qui, avec la porte des étoiles qui constitue le dernier chapitre de 2001 A Space Odyssey, a contribué avec Stanley Kubrick à populariser l’œuvre de l’un des plus grands compositeurs du XXème siècle était l’occasion unique dans la carrière de James Horner d’expérimenter un langage plus audacieux que ce que l’industrie du cinéma tolère de manière générale.
 
Douglas Trumbull a écrit dans le livret de l'album :
« Un des plus capables et talentueux manipulateurs du son et de l'image est James Horner. Je pense que la musique est la force la plus puissante au service d'un film. Elle peut directement contrôler nos réactions émotionnelles face aux images, de façons tellement étonnante et avec une telle précision, que tout ce que je pourrai faire en tant que réalisateur sera radicalement amélioré par le pouvoir de la musique. James Horner est capable de créer cette mystérieuse rencontre de l'image et du son avec une telle intensité, une telle grâce et un tel aplomb, que cela en devient effrayant. Je m'en remets maintenant désespérément à lui et embrasse totalement sa musique dans n'importe quel film. Lorsque je l'écoute, elle emplit mon esprit des images de ces films. »
Beaucoup d’éléments entendus dans Brainstorm étaient plus ou moins contenus dans des partitions précédentes, notamment l’écriture aléatoire de Final Playback, les cuivres jouant comme une bande magnétique (Deadly Blessing). Des éléments rythmiques de suspense (Gaining Access to the Tapes) seront quant à eux repris dix ans plus tard dans Sneakers ou Clear and Present Danger. Enfin, les chœurs, qui enrichissent l’aspect métaphysique du film de Trumbull (qui ose aborder le mystère de la vie après la mort via la science-fiction) ont un rôle majeur dans la définition musicale du film. Il faudra attendre quelques années (Willow, The Land Before Time, mais surtout Glory) pour que les voix jouent à nouveau un rôle aussi central.
Tout ce qui était à l'écran était high-tech, les effets spéciaux, l'histoire, l'équipement, la qualité de la pellicule. Mais il y avait aussi cette spiritualité qui était juste sous la surface. Ce que j'ai essayé de faire, c'est d'aller contre cet aspect high-tech et la manière la plus directe de le faire était d'utiliser un choeur de garçons. Quand nous avons discuté de Brainstorm la première fois, le réalisateur Douglas Trumbull voulait une musique électronique, un son high-tech. J'y ai réfléchi et je suis revenu avec l'idée du choeur de garçons, ce qui, dans un premier temps, les a effrayés, car ils ne connaissaient pas très bien cette couleur et qu'ils ne savaient pas comment j'allais l'utiliser. Je leur ai expliqué que ça allait jouer contre ce qu'on voyait, que cette couleur avait des propriétés merveilleuses et que j'allais écrire une polyphonie que les garçons chanteraient presque dans un style “XVIème siècle”. Il devaient me croire sur parole, bien que je leur fis écouter un disque de la musique de cette époque. Je voulais mélanger l'orchestre et le choeur de garçons, mais aussi réaliser des effets d'avant-garde avec l'orchestre. Aucune des musiques que je leur faisais écouter ne pouvait leur donner une bonne idée de ce que le choeur allait rendre avec les images. Une fois qu'ils ont entendu le choeur, ils ont vraiment aimé et toute leur perception de la musique a changé. Ils m'ont donné leur aval pour continuer dans cette voie. Nous avons finalement utilisé un choeur d'adultes, qui était constitué de 18 à 24 chanteurs et un choeur de 15 garçons, et nous avons tout enregistré en direct avec l'orchestre dans le grand studio de la MGM. J'adore enregistrer tout de manière acoustique sans avoir besoin d'isoler les musiciens et le choeur. 7
Ce qui est formidable dans Brainstorm, c’est le traitement purement musical que James Horner apporte à des scènes cruciales du film, et qui leur donne une grande importance : la scène de la crise cardiaque de Lilian (Lilian’s Heart Attack) est accompagnée par une musique d’une puissance toute mahlérienne, un crescendo orchestral qui donne des frissons, avec ce motif de 4 notes associé à la mort, qui deviendra un des motifs récurrents du compositeur pendant sa carrière.
« Brainstorm m'a marqué pour plein de raisons mais la principale est que pour la première fois de ma vie je devais affronter la mort à l'écran. » 4
« Elle subissait ces coups répétés et douloureux au coeur tout en essayant de téléphoner pour alerter quelqu'un, un autre coup la frappait, puis elle tentait autre chose, un autre coup. C'était difficile à regarder. Je ne savais pas exactement comment mettre en musique une attaque cardiaque; je n'avais jamais fait ce genre de choses avant. J'ai cherché à augmenter le sentiment de douleur, et la solitude avec laquelle elle est en train de la vivre. Mais plutôt que de souligner l'action, l'orchestre devait prendre part à cette expérience d'attaque cardiaque. J'avais ce motif Malhérien, avec des trompettes sombres, une couleur choisie. Je ne m'aventure pas souvent dans le figuralisme comme ça, mais je voulais que, dans ce morceau, l'attaque cardiaque soit la plus puissante possible. » 7
La scène des souvenirs partagés entre Michael et Karen (Michael’s Gift to Karen) est traitée avec une délicatesse qui allie musique, silence, romantisme et classicisme.
« Pour Michael’s Gift To Karen, je me devais de citer Schubert car ma cohérence musicale l’exigeait. La citation représente tout un art. Il faut arriver à ce que l’intégration de la citation soit enveloppée dans sa propre musique sans dénaturer votre propre musique ou celle de l’auteur original. C’est fort différent de l’imitation trop souvent pratiquée dans la musique de films. Quand Monet cite des œuvres des peintres de la Renaissance, il les intègre si parfaitement dans sa toile qu’elle resplendit d’unité. » 4
 
L’album de Varèse Sarabande est la meilleure présentation possible que l’on puisse donner de cette partition qui fait en tout trente minutes. Ce sont cependant trente minutes qui comptent dans la carrière du compositeur. Que serait aujourd’hui la partition d’un thriller métaphysique comme Brainstorm? Elle serait sans aucun doute confiée à un expert des samples, loops, de la programmation de synthétiseurs, aidé par une armée d’arrangeurs et d’orchestrateurs. En trente ans il s'est créé un gouffre entre le monde d’où venait James Horner et celui de nombre de compositeurs œuvrant aujourd’hui à Hollywood. Douglass Trumbull a eu l’intelligence d’accepter pour un film imparfait (le décès de Nathalie Wood ayant bouleversé la conception et la sortie du film) une partition qui présente une approche intelligente et savante de la musique dramatique pour le cinéma, qualité rare de nos jours.
 
[divider]CONCLUSION[/divider]
 
Krull et Brainstorm confirment l'élan enclenché par Star Trek II: The Wrath of Khan. Ces deux partitions constituent un diptyque flamboyant qui exprime l’énergie et le savoir d’un jeune compositeur de 30 ans, qui avait décidé quelques années plus tôt de se lancer corps et âme dans le mariage de la musique, avec son bagage classique et savant, et de l’image, dans une industrie qui n’a souvent aucune pitié pour les créateurs. En seulement cinq ans, James Horner est passé de films d'étudiants pour l'AFI à des films produits par Columbia, Paramount, Twentieth Century Fox. Une percée fulgurante à Hollywood.
« Si Brainstorm, Krull et Gorky Park ont été des échecs, ma musique a réussi à trouver une identité et une renommée auprès des studios. » 4

 


Sources :
1 – Musical Aesthetics at University Of California, Los Angeles (March 1992)
2 – Melbourne Seminar, part 2 excerpt from Soundtrack! Vol. 11 No. 43 September 1992. Transcribed by Andrew Knipe
3 – « James Horner et son arc-en-ciel de couleurs » de Didier Leprêtre et Steve Olson, Dreams Magazine, 2001
4 – « Le Maître sort de son cocon » by Didier Leprêtre, Dreams to Dream … 's.
5 – A Conversation with James Horner – CinemaScore, issue # 11/12, 1983; interview by Randall D. Larson.
6 – Melbourne Seminar, December 1991, Soundtrack! Vol. 11 No. 41 March 1992
7 – “Gaining Access To The Music” written by Neal A. Acree, Dreams to Dreams…s Magazine, 1996

Article de David Hocquet et Jean-Baptiste Martin
Remerciements à Kjell Neckebroeck, John Andrews, Javier Burgos et Aurélien Simon.
 
Crédits photo :
Krull : © Columbia Pictures – Sony Pictures Entertainment
Brainstorm : © Metro-Goldwyn-Mayer Inc.

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