ENTRETIEN AVEC JIM HENRIKSON

Il y a des noms qui reviennent souvent sur les pochettes des albums de James Horner : Ian Underwood, Tony Hinnigan, Simon Rhodes… Depuis 25 ans l'un d'eux est quasiment présent à chaque fois, preuve que c'est un collaborateur devenu indispensable. James Horner parle de lui ainsi dans le livret de l'album Troy :
« mon merveilleux ami aux indications et conseils avisés, sans qui je serais perdu. »
Ce proche et fidèle collaborateur est le légendaire monteur musical Jim Henrikson. Avant de travaillé avec James Horner, il a participé à des projets pour la télévision (Star Trek: The Original Series) ou à des classiques du cinéma comme The China Syndrome (1979), Raging Bull (1980), ou encore Flashdance (1983). Depuis Willow en 1988 il a presque exclusivement consacré tout son talent sur les bandes originales signées James Horner. C'est donc un grand honneur de l'accueillir aujourd'hui dans nos pages.
 

Commençons par une brève présentation du monteur musical. Pouvez-vous nous expliquer ses différents rôles ?
Le rôle de monteur musical a bien évolué depuis le début de ma carrière. Etant donné qu’il y a 50 ans nous n'avions pas accès au film en vidéo ou sur des disques durs, le monteur musical exécutait à la suite d'une session de spotting un découpage scène par scène ou "notes de séquençage", dont le compositeur se servait pour écrire le score complémentaire du film en termes de tempo et d'ambiance. Dans la plupart des cas, si le compositeur souhaitait revoir les séquences, il devait revenir au studio et se
servir des équipements des salles de visionnage. Les notes de séquençage (les notes de timing) étaient donc importantes au cours de ce processus. Dans le monde d'aujourd'hui, nous avons le film à portée de main via les médias numériques et nous pouvons boucler une synchronisation avec un large éventail de sons synthétisés, rendant les notes de timing superflues pour le compositeur, bien que le monteur musical puisse conserver des notes pour suivre des changements consécutifs dans le film, au fur et à mesure que la post-production se poursuit.

Le monteur musical contrôle l'achèvement du score et assiste à toutes les sessions d'enregistrement. Quand des modifications de montage affectent la mise en musique, sa tâche consiste à en informer le compositeur et faire les révisions appropriées au découpage du morceau. Il arrive que le monteur musical s’occupe d’insérer à l’image les indications de synchronisation, que le chef d’orchestre utilise pour s’assurer que le son et l’image soient synchronisés pendant l’enregistrement.
Une fois la musique enregistrée, le monteur synchronise les pistes avec les images et peut également être chargé de monter les morceaux pour adapter les changements apportés au film après l'enregistrement.
Quand le mixage de la musique est terminé, il se doit de fournir des rapports de contenu musical pour calculer les royalties.
 
Dans quels cas devez-vous recourir à un "supervising music editor" ?
Les tâches d’un monteur musical sont devenues si complexes avec les années qu’il est maintenant courant d’avoir plusieurs personnes en charge de ces tâches. Lorsque j’ai débuté, un monteur musical travaillait toujours seul et sans assistant. Depuis quelques années, j’endosse le rôle de Superviseur du montage musical lorsqu'il y a plusieurs monteurs impliqués.
 
Depuis vos premières collaborations avec James Horner, en 1985 sur Heaven Help Us, puis à partir de Willow en 1988, vous avez participé à quasiment toutes ses bandes-originales. Votre longue carrière est ainsi connectée à James Horner depuis un quart de siècle maintenant. Pouvez-vous nous raconter votre première rencontre? Y a-t-il eu une sorte de "moment de vérité" quand vous avez réalisé que James Horner et vous étiez faits pour travailler ensemble et que vous souhaitiez construire une collaboration longue et fructueuse?
En 1984, Bob Badami travaillait avec James comme monteur musical, mais il s'était retrouvé impliqué dans un autre projet et ne put faire Catholic Boys (sorti finalement sous le titre Heaven Help Us). Je connaissais déjà James et je suis donc arrivé sur ce film. Quand James a signé pour Willow au printemps 1987, il recherchait un monteur pour ce projet même si ce n’était pas prévu avant la fin de l’année. J’ai accepté, et nous avons même travaillé sur Vibes durant l’été pour que nos agendas concordent. J'avais passé un an à Londres en 1985-86 sur La petite boutique des horreurs, donc le fait que James aime enregistrer à Abbey Road était d'autant plus merveilleux. Sur Willow, je pense que nous avons tous les deux réalisé que notre relation de travail était très compatible, mais je ne crois pas qu'on ait pu prédire alors cette longévité.
 
Parlez-nous un peu plus de la nature de votre collaboration, le niveau de confiance et de compréhension qui a du se développer entre vous au cours des 25 dernières années.
Lorsque Willow fut terminé, James m’a demandé si je voulais être son monteur pour ses projets futurs et je fus très heureux d’accepter. Il n’avait pas d’équipe, alors j’ai commencé à assumer la responsabilité de prendre contact avec des orchestrateurs, des music contractors, des copistes, des studios d’enregistrement et du personnel de post-production. Avec les années, ces responsabilités, combinées à celle de définir les budgets avec ses agents, sont devenues une part importante de mon travail. James a été très généreux de m'accorder cette confiance. Si bien qu'en 1995, ma femme, ma fille et moi-même, avons pu déménager dans le comté de Sonoma. J’ai continué mes corvées de montage également, parfois avec de l’aide, jusqu’en 2004. Ma femme est décédée cette année-là après une brève maladie et j’ai pris deux années sabbatiques pour m’occuper de ma fille adolescente. J’ai repris le travail avec James sur Apocalypto, mais avec la condition que je puisse avoir un co-monteur qui s’occuperait du montage sur pro-tools. Cela m’a permis de mieux gérer le temps passé loin de ma famille. Encore une fois, James m’a entièrement soutenu.
 
Il est évident que vous connaissez bien la musique de James Horner. Qu'est-ce que vous appréciez le plus dans sa musique ?
Il y a trois domaines dans lesquels je pense qu’il est le meilleur. (1) Sa compréhension du film et sa sensibilité qui soutient le film musicalement sans faire de l’ombre à l’histoire. (2) Son écriture mélodique. (3) Ses orchestrations. James a eu recours à des orchestrateurs durant sa carrière mais il a aussi beaucoup orchestré seul et le travail de ses collaborateurs porte toujours sa signature.
 
En tant que passionnés de sa musique, nous admirons les qualités de conteur de James Horner, à la fois dans la façon dont sa musique accompagne les images d'un film, mais aussi pour ses propres qualités narratives. Et y a-t-il des moments où vous avez eu besoin d'éditer la musique de manière à améliorer la synchronisation à l'écran mais en sacrifiant le récit musical ?
Je pense que c’est grâce à l’éducation classique de James que l’on peut écouter sa musique par pur plaisir. James a toujours préféré écrire de longs morceaux, certains de 12 à 16 minutes. C’est très inhabituel en musique de film et c'est une marque de fabrique de son travail. Je n’ai pas eu souvent eu à monter sa musique dans un but de narration parce qu’il est très à l’écoute des attentes du réalisateur. Il n’y a que de rares cas où ces attentes ont changé après l’enregistrement.
 
Quels sont vos œuvres préférées de James Horner, à la fois en terme de résultat final et d'expérience professionnelle ?
Field of Dreams, Sneakers, Braveheart, Le Masque De Zorro, pour l’expérience filmique et musicale.
Titanic et Avatar pour nous avoir apportés les plus grands défis.
 
 
Avez-vous des anecdotes des sessions d'enregistrements que vous souhaitez partager avec nous ?
Oui, mais je devrais ensuite vous tuer.
 
Êtes-vous responsable des temp-tracks ? Et si oui quelles directives suivez-vous généralement ?
J’ai fait le temp-track sur quelques-uns des projets de James (Rocketeer, Patriot Games) mais pas tant que ça, car j’étais souvent pris par la finalisation d’un autre projet de James. Ceci étant dit, créer une musique temporaire commence souvent avec le premier montage du film et continue durant toute la post-production, car le film est présenté au public lors de projections en avant-première, bien avant le mixage final. C’est désormais le marketing qui dirige l’industrie cinématographique.
 
Un grand nombre de chefs d'orchestre comptent sur un click track lors de la session d'enregistrement pour réaliser la synchronisation parfaite de la musique avec l'image. Nous avons lu que James Horner n'utilise pas habituellement ce click track, mais n'avez-vous jamais été impliqué dans la conception de ces click tracks pour James Horner ?
James est un chef d’orchestre merveilleux. Il préfère ne pas utiliser le click track parce qu’il pense que cela empêche la fluidité de la musique. Il est capable de courber le temps, ce qui donne une performance de type concert symphonique et il évite ainsi la rigueur mécanique. Ceci dit, il utilise parfois le click track sur une séquence d’action très rapide pour aider l’orchestre à tenir le rythme de façon plus précise.
 
Y a-t-il eu des projets plus difficiles que d'autres ? Nous pensons par exemple à Troie pour le manque de temps ou Windtalkers pour les nombreuses modifications du film ? Pouvez-vous partager avec nous les enseignements tirés de ces projets ou d'autres situations difficiles que nous pourrions ne pas connaître ?
Troy était tout simplement insensé. On a demandé à James de remplacer la musique rejetée. Environ deux heures de musique qui devaient arriver jusqu’au mixage à Londres en quatre semaines. Dick Bernstein et Barbara McDermott sont allés à Londres pour le mixage pendant que Ramiro Belgardt et moi restions à Los Angeles pour enregistrer la musique. Nous enregistrions un jour et envoyions la musique par internet à Londres pour être mixée le jour suivant. Nous avons en fait enregistré un morceau avec le chœur à Abbey Road et avec l’orchestre à Todd-AO à L.A.
Les modifications sur Windtalkers étaient dues au re-montage du film plus qu’à autre chose. John Woo avait fourni des idées musicales qui ont été finalement utilisées dans le montage final. Aujourd'hui, presque tous les projets exigent du compositeur qu’il fournisse une maquette de tous les morceaux avant l’enregistrement. Cela complique tout car aujourd’hui on travaille rarement sur un film définitif.
 
Nous sommes sûrs qu'il y a beaucoup à dire sur la collaboration avec un directeur exigeant comme James Cameron. Pourriez-vous nous parler du travail qui a abouti à la création de musiques emblématiques telles que Titanic ou Avatar ?
Travailler avec Jim Cameron est une expérience en soi. Presque tout son film est en jeu durant la post-production. C’est comme si tout, sauf les acteurs, pouvait changer… On doit tenir le coup. Il est dur avec nous, mais il est encore plus dur avec lui-même.
Sur Titanic, il regardait les prises orchestrales sur une TV en circuit fermé. Il supervisait tellement d’aspects du film qu’il ne pouvait assister aux sessions d’enregistrement. Après une prise, il avait une conférence vidéo avec James et lui donnait ses remarques. James n’a finalement réécrit que trois morceaux sur les deux heures de musique et a eu raison de Jim en son absence aux sessions. Ce n’est qu’au mixage final au Skywalker Ranch que Joe Rand et moi-même avons apporté plein de changements à la musique pour répondre aux attentes de Jim.
Avatar a été une expérience très similaire, mais en plus long. Simon Rhodes, Ian Underwood and moi vivions dans une maison/studio de location à Calabasas pendant onze mois. James, avec la collaboration de Simon Franglen, Aaron Martin et une foule d’autres musiciens et chanteurs ont fait la maquette de la musique intégrale et ont attendu que Jim valide chaque morceau avant de se mettre aux orchestrations. Les trois derniers mois de travail ont été du 7 jours sur 7.
 
L'équipe sur The Amazing Spider-Man : debout: Simon Rhodes, Simon Franglen, Barbara McDermott, Jim Henrikson
assis : Ian Underwood, James Horner, Joe Rand
 

Le Masque de Zorro est l’un de nos scores préférés. Il contient beaucoup d'éléments variés et inhabituels qui se réunissent pour créer l'ambiance musicale. Pouvez-vous nous parler de la création de ce tour de force ?
Un de mes favoris également. James a utilisé des danseurs de flamenco pour mettre en musique un duel majeur à l’épée. Un ensemble de guitares également. Des cascades à l’ancienne, sans effet visuel. Cela m’a rappelé The Crimson Pirate, un film avec Burt Lancaster des années 50. C’était un vrai plaisir de travailler sur ce film, autant que de le regarder. Martin Campbell a fini par tourner une nouvelle fin que nous avons mise en musique à L.A.
 
Avec A Beautiful Mind, James a été nominé pour un Oscar. Que pouvez-vous nous dire de votre travail avec Ron Howard au fil des années, qui s'est terminé avec le magnifique The Missing ?
Cela a toujours été un régal de travailler avec Ron Howard. Il est très collaboratif et c’est un vrai gentleman. Il apprécie beaucoup le travail que vous faites et il vous le fait savoir. Je pense que la musique de James pour A Beautiful Mind est l’une de ses meilleures. Je ne pense pas que The Missing fut aussi réussi que les autres films de Ron. Il voulait que ce soit très pointu et a encouragé James à utiliser des morceaux synthétiques et sombres. Dans la grande scène de sauvetage, nous avons fini par utiliser des morceaux bien plus héroïques. J’ai aimé le jeu de Cate Blanchett et de Tommy Lee Jones, mais j’ai trouvé le méchant un peu trop exagéré.
 
Participez-vous au mixage final du film ? Et si oui jouez-vous un rôle pour que la musique soit mise bien mixé par rapport aux effets sonores ?
Nous avons eu beaucoup de chance de travailler avec tellement de mixeurs son talentueux. Andy Nelson, Rick Kline, Scott Milan, pour n'en nommer que quelques-uns. Leur expertise ajoutée à celle de Simon Rhodes, l’ingénieur d’enregistrement de James, apporte la certitude que la musique sera entendue dans le film exactement comme elle doit l’être. J’ai peut-être fait quelques suggestions ici ou là mais la plupart du temps mon job est de tenir James au courant de nos progrès. Il assiste toujours à l’écoute finale avant changements pour donner ses commentaires sur la bande originale.
 
Mixez-vous la musique pour l'album différemment que pour le film? Si oui, quels facteurs jouent un rôle dans vos décisions ?
Simon Rhodes s’occupe de tout le mixage de l’album. Il fait ensuite écouter son mixage à James pour approbation.
 
Écoutez-vous de la musique de films ? Si oui quels albums ou compositeurs appréciez-vous particulièrement ?
J’écoute personnellement très peu de musique de film, sauf pour les soumissions aux Academy Awards. J’aime beaucoup de genres musicaux et surtout le jazz, le classique, la musique du monde, la pop, la country et la folk. J’aime vraiment le travail de Thomas Newman, d'Alexandre Desplat et de Michael Giacchino.
 
Pouvez-vous nous parler de la musique de Roméo et Juliette, enregistrée il y a plus d'un an, mais nous n'avons encore entendu aucune note de celle-ci ?
Une expérience très décevante. La musique de James était d’une grande beauté et n’a pas été jugée à sa juste valeur. A cause d’un désaccord entre les producteurs et d’une réaction mitigée aux avant-premières, la musique de James a été remplacée pour sauver le film. Ce qui ne l’a pas aidé.
 
Y a-t-il de nouveaux projets à venir avec James Horner, peut-être Wolf Totem?
James a pris une année de congé après Romeo & Juliet. Je sais qu’il a parlé avec Jean-Jacques Annaud de Wolf Totem, mais rien n’a encore été prévu. Bien sûr il y a ces trois suites d’Avatar à venir.
 
Photos utilisées avec l'aimable autorisation de Jim Henrikson.
Merci Monsieur Henrikson pour votre disponibilité, votre générosité et votre gentillesse.

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