FOND MEMORIES – EPISODE 4 : 1981 – UNE TRILOGIE HORRIFIQUE

Dans cet épisode nous nous attardons sur la trilogie horrifique composée en 1981 : La Main du Cauchemar (The Hand) d’Oliver Stone, La Ferme de la Terreur (Deadly Blessing) de Wes Craven et Wolfen de Michael Wadleigh. Si vous avez des informations qui peuvent compléter cet épisode, merci de nous contacter.

 
Bandes-originales abordées dans cet épisode :
The Hand (1981)
Deadly Blessing (1981)
Wolfen (1981)
 
[divider]1981 – UNE TRILOGIE HORRIFIQUE[/divider]
 
Après les deux films de monstres pour Roger Corman, Up From The Depths (1979) et Humanoids From The Deep (1980), il n'est pas étonnant de voir James Horner être sollicité par les studios pour des films d'horreur.
« J'ai travaillé pour Roger Corman chez New World Pictures et divers autres indépendants avant d'avoir mon premier gros film pour Orion avec La main du cauchemar (The Hand). Puis j'ai fait La ferme de la terreur (Deadly Blessing) pour Polygram Pictures et j'ai été engagé à nouveau par Orion pour Wolfen. » 1
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La main du cauchemar (The Hand – 1981), remake d'un classique du cinéma fantastique des années 40, La Bête aux cinq doigts, est le deuxième long métrage d'Oliver Stone. Il raconte l'histoire de Jon Lansdale, un auteur de Comics qui a la main arrachée suite à un accident de voiture. On lui donne une prothèse, mais il devient colérique à cause de la perte de son outil de travail. Sa main perdue revient vers lui et tue à sa place toutes les personnes qui lui ont causé des torts.
Comme les premiers films horrifiques pour lesquels James Horner a travaillé pour Roger Corman (voir épisode 3), The Hand est un terrain d’essai idéal pour expérimenter à l’écran des techniques de composition modernes: atonalité, écriture aléatoire, effets acoustiques (echoplex), utilisation d’instruments rares découverts par les aînés comme le blaster beam, le rubrods. Il a eu la chance, pour cette production, de disposer d’un budget de production suffisant, de véritables musiciens, plutôt que de se contenter de synthétiseurs encore très peu satisfaisants au niveau acoustique à cette époque.
« De films à bas budgets où mon enveloppe pour faire la musique était au mieux autour de 14 000 dollars, je suis passé pour The Hand dirigé par Oliver Stone, encore un film d'horreur, à 350 000 dollars car c'était un gros studio et qu'à présent il y avait des musiciens syndiqués. » 2
Toutefois James Horner garde une mauvaise expérience de ce film et a toujours donné sa désapprobation pour une édition discographique.
« Je souhaiterais n'avoir jamais fait The Hand, c'était une expérience pitoyable. » 3

The Hand combine une écriture dans la lignée de ce que Jerry Goldsmith avait osé composer pour le film de Ridley Scott Alien (1979), c’est-à-dire une musique atonale qui donnait la primauté aux effets, aux chocs sonores des instruments, afin de provoquer l’effroi. Mais nous retrouvons également déjà un don mélodique et une tendresse qui ne sont pas encore devenus la marque absolue du compositeur.

 
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Œuvre de commande pour Wes Craven, le maître du genre et le film ayant révélé Sharon Stone, La Ferme de la Terreur (Deadly Blessing – 1981), surfe sur la vague des films maléfiques comme L'exorciste (1973) ou encore La malédiction (1976).
Martha Schmidt devient témoin de phénomènes de plus en plus inexpliqués et effrayants suite à l'installation près de chez elle d'une étrange communauté religieuse: les Hittites. Ils voient en Martha la représentante de l’Incube, personnage démoniaque aux pouvoirs malfaisants…

Cette partition restera comme l’une des plus lyriques et des plus riches musicalement pour un film de Wes Craven. Le sujet horrifique du film n’empêche nullement James Horner de composer des mélodies lyriques (on note le rôle dominant de la flûte – le thème d’amour annonciateur des futurs thèmes lyriques des années 80) et un univers musical qui anticipent l’atmosphère de Something Wicked This Way Comes (1983).
Fortement influencé par le néo-stravinskien The Omen (1976) de Jerry Goldsmith, notamment par une utilisation unique des textures graves du chœur mixte dans sa carrière – sur des textes en latin pour mieux suivre son modèle – seules les partitions de Brainstorm (1983) et de Krull (1983) feront appel à ces textures chorales, mais sur un mode souvent plus proche de Ligeti. Le jeune compositeur déploie un arsenal fascinant de musique atonale ou dissonante, interprétée par des musiciens d’un bon niveau. La période est favorable budgétairement par rapport à la précédente.
En cela, la partition est proche de celle de The Hand et utilise également des techniques qui seront reprises dans Brainstorm (1983), notamment la scène du « Deadly Blessing », les scènes finales utilisant un chœur évoquant les techniques d’écriture de György Ligeti ou bien encore le rythme orchestral de la confrontation finale.
 
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Enfin terminons cette trilogie par Wolfen (1981), adaptation du roman de Whitley Strieber qui nous fait suivre une enquête sur une série de meurtres inexpliqués commis par des loups. La première version du film, jugée trop cérébrale, a connu de nombreuses coupures et la musique de Craig Safran a été rejetée.
Le score de Craig Safan n’a pas survécu non pas parce qu’il n’a pas de valeur musicale, au contraire, mais parce qu’il serait peut-être, au regard du film, trop focalisé sur le discours musical au détriment du travail fusionnel avec le récit visuel…
En effet influencé par le travail génial du grand compositeur de concert John Corigliano sur Altered States de Ken Russell (fantaisie visuelle baroque qui accepte les extravagances concertistes d’un compositeur du niveau de Corigliano!), Craig Safan s’est « fait plaisir » si l’on peut dire. Son travail est remarquable, et c’est un vrai plaisir de mélomane si l’on aime la composition de la seconde moitié du XXème siècle. Il privilégie par son écriture dissonante et tendue le suspense, la violence, l’étrange. Par contraste la partition plus courte de James Horner, composée en douze jours, mais remarquable de force expressive fonctionne mieux.
Pourtant la parenté avec la partition de Safan est évidente car les deux compositeurs ont, par des biais personnels différents, puisé aux sources des avant-gardes de l’Europe centrale, plus sensualistes que les arides avant-gardes allemandes ou françaises. James Horner a par exemple adopté une modernité et une complexité d’écriture qu’il maîtrise parfaitement après des années passées dans le monde de la musique « sérieuse ».
Ainsi le plaisir sonore est mis en avant : le choc des timbres instrumentaux, les glissandi, les étrangetés sonores d’instruments exogènes à l’orchestre, l’utilisation inhabituelle des instruments classiques comme le piano préparé, ou encore les clusters, les tutti dissonants, le choc des registres extrêmes, les grognements de cuivres…
« Je voulais créer un univers sonore pour les Wolfen, sans que ce soit une accumulation d'effets. Ce devait être très oppressant et très primitif, mais d'une façon qui, je l'espère, n'avait pas encore été faite, et j'estime avoir réussi. Sur les scènes de vision étrange, je savais que tout serait très stylisé, et très subjectif, et j'ai créé un genre de rythme rapide qui constituait la musique des Wolfen. Il n'y a pas de mélodie — il y a une figure à la trompette qui se maintient de façon récurrente, mais, fondamentalement, je voulais créer un genre de sentiment très entraînant pour le film. Les sons (comme des coups de fouet) qui introduisaient les séquences de "vision alien" ont été obtenus électroniquement. La moitié du son était musical et l'autre moitié était un effet non-musical. En vérité, c’était une détonation améliorée électroniquement et ajoutée à la musique. Cela fonctionnait très bien pour créer une sorte de son saisissant. J'ai travaillé en proche collaboration avec les gens en charge des effets sonores du film. En fait, le responsable des effets sonores, Andrew London, possédait tout un univers musical qu'il avait créé, en terme d'effets électroniques. Je voulais m'assurer que je n'allais pas écraser ses effets avec trop de musique forte, donc j'ai travaillé en étroite collaboration avec lui pour être en mesure de contourner son travail sans le piétiner. » 1

Là où James Horner se démarque de Safan c'est par l’émotion qu’il suscite : d’abord dans son thème principal, nimbé de mysticisme en évoquant la Question sans Réponse de Charles Ives, une œuvre d’une beauté et d’une simplicité déconcertantes, comme le Fratres d’Arvo Pärt, que le compositeur peut modeler à sa guise dans son travail mélodique et harmonique.


Main Title – WOLFEN – Original Soundtrack by James Horner
© 1981 WARNER BROS. ENTERTAINMENT INC., under license to Intrada Special Collection Volume ISC 185
 

Ensuite dans les moments intimes, James Horner gagne du terrain en privilégiant une forme de beauté mélancolique (importance du piano et des instruments à vent en solo), qui semble si naturelle chez lui.
Enfin pour le paroxysme du film, la confrontation entre le personnage central et les loups, qui est sublimé par cet accord forte de tout l’orchestre qui semble combiner les tonalités majeures et mineures et qui évoque La Sinfonia da Requiem de Britten. L’équivalent chez Safan ressemble à un timide crescendo. Il est vrai que l’on a du mal à trouver de manière générale dans la partition de Safan une émotion similaire. La musique de ce dernier semble se focaliser sur la prouesse musicale au détriment d’une émotion originelle, qui ferait surgir la sensibilité cachée du film.
Le travail de James Horner creuse et trouve une profondeur qui vous étreint, qui résonne au-delà du film. Dès sa première période « moderniste », le compositeur trace déjà un sillon de beauté immanente, qu’il ne cessera tout au long de sa carrière d’enrichir. Wolfen, partition plus mystique, plus intime, est certainement un exemple plus probant de cette beauté, en ce début de carrière, que ne le sera le flamboyant et spectaculaire Star Trek II (1982). Et même si cette partition reprend et développe certaines techniques d’écriture présentes dans Wolfen.
L’épilogue nous offre un moment privilégié pour les cuivres, qui anticipe notamment la (trop courte) pièce de concert A Shore Never Reached, dans l’album Back to Titanic, 17 ans plus tard.
Wolfen est la première collaboration connue avec le multi-instrumentaliste Ian Robertson Underwood et le pianiste Ralph Grierson, qui deviendront des collaborateurs réguliers de James Horner.

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En deux années, James Horner a composé la musique de cinq films d'horreur. Il n'en fera plus aucun au cours de sa carrière. Après cette période il déclara :
« Je ne suis pas en mode horreur maintenant. Mes deux derniers films, The Pursuit of D.B. Cooper et Star Trek II ne sont pas des musiques horrifiques, et je viens de faire six téléfilms de deux heures qui ne sont pas non plus dans ce registre. Je semble être plus lié à la science-fiction à présent, j’espère que tout cela évoluera progressivement. » 1
 

Article de David Hocquet et Jean-Baptiste Martin
Traduction par Kjell Neckebroeck
Bannière par Javier Burgos
Remerciement particuliers à Byron Brassel, Nick Martin et Olivier Soudé.

Sources :

 

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