FOND MEMORIES – EPISODE 3 : 1978-1980 – LE CYCLE ROGER CORMAN

Dans ce troisième épisode de Fond Memories, nous revenons sur les quatre partitions écrites pour Roger Corman. Si vous avez des informations qui peuvent compléter cet épisode, merci de nous contacter.
 
Bandes originales abordées dans cet épisode :
The Lady in Red (1979)
Up From The Depths (1979)
 
[divider]1978-1980 – LE CYCLE ROGER CORMAN[/divider]
« Quand je me tourne vers les films à petit budget que j'ai faits, je me dis « Mon Dieu », mais vous devez vous rappeler qu'ils étaient structurellement importants pour moi, j'appris mon métier avec eux. Je ne savais rien à propos de la musique de films jusqu'à ce que je commence à travailler pour des films d'étudiants et à petit budget. Ainsi, je ne voudrais pas nécessairement que quiconque les voie. J'ai juste appris beaucoup grâce à eux, et j'ai rencontré des gens à travers eux ». 1
En 1979, James Horner commence à travailler avec le studio New World Pictures, fondé neuf ans plus tôt par Roger Corman, un des principaux producteurs de films indépendants (400 productions sur presque 60 ans de carrière). Roger Corman a une politique simple pour monter des films: un budget très faible, des salaires de misère, un sujet avec de l'action et une assez grande liberté. Le budget investi dans la musique était si faible pour ces films qu'il arrivait que James Horner signe lui-même les chèques pour payer les musiciens.
« Roger disait: «Voici 4000 $. Je veux un score de 90 minutes. » Vous aviez à résoudre cette énigme. Vous deviez être aussi inventif et ingénieux que vous pouviez l'être. Vous agissiez en tant que compositeur, en tant que chef d'orchestre et surtout en tant que producteur. Moi j'étais juste compositeur et chef d'orchestre. La partie la plus difficile était donc de savoir comment obtenir ce que Roger voulait pour son film et pour seulement 4000 $. Ce fut la meilleure chose que j'ai apprise de cette expérience ». 2
De plus Roger Corman n'était pas très préoccupé par la musique de films :
« Il n'est pas particulièrement une personne de la musique de film. Il ne comprend pas vraiment les scores et ce qu'ils peuvent faire. Ils sont la priorité la plus basse dans son agenda. Ils sont un mal nécessaire, pour ainsi dire. Je ne voyais vraiment pas beaucoup Roger. Il dirige seulement sa société, et si je voulais faire le film, nous le prévisualisions ensemble et c'était la seule fois que je le voyais. Il n'est jamais venu aux séances d'enregistrement, ni aux sessions de spotting [ndlr: les sessions durant laquelle le metteur en scène et le compositeur déterminent l’emplacement et le rôle de la musique à l’image]. Il ne participait pas aux processus créatif de la musique sauf pour dire qu'il l'aimait à la suite du visionnage du film avant sa sortie. Mais il m'a offert la première grande avancée de ma carrière et j'ai une dette envers lui pour cela ». 3
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La première composition pour le studio de Roger Corman est un film de gangsters : Du rouge pour un truand (The Lady in Red – 1979). Ce film retrace la vie de Polly de son enfance avec un père abusif en passant par la prostitution, jusqu'à la cavale avec Jimmy Dillinger, le célèbre gangster américain de la Grande Dépression.
Ce film écrit par John Sayles et réalisé par Lewis Teague est certainement un des meilleurs de la firme de New World. Mais l’apport musical de James Horner est limité au strict minimum. Quelques séquences sont mises en musique et d’autres sont des adaptations.
Par exemple, une brève intervention musicale au générique, une autre pour la poursuite en voiture des voleurs de banque, sont des adaptations de blues de Nouvelle-Orléans. On peut identifier une musique orientalisante de cabaret ou un passage au synthétiseur lors d’une séquence brutale. Rien de personnel.
Au bout d’une heure cependant, pendant quelques secondes, où l’on voit Robert Conrad apprendre le base-ball à Pamela Sue Martin, on reconnaît tout de suite le style lumineux du compositeur. La séquence semble anticiper Testament (Bike Talk – 1983) : il s’agit d’un thème pour guitare, piano, harpe et flûte, qui rappelle le Jerry Goldsmith des drames intimes ou le John Williams de Missouri Breaks, et qui sert de thème pour Polly dans sa relation avec Dillinger. La séquence la plus élaborée est celle qui accompagne la mort de Dillinger : basse répétée pour le suspense, ponctuation des cuivres, piano onirique, clusters de cuivres.
Il est passionnant de voir à quel point, très tôt, même dans de très brèves séquences, le compositeur propose déjà un style qui ne demande qu’à fructifier.
Les chansons citées dans le générique sont des classiques de la variété de la fin des années 20 et du début des années 30 : Ain’t she sweet, Baby Face, 42nd street, If I Could Be With You, We’re in The Money. Wouldn’t It Be Wonderful est interprété par Michael Feinstein.
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« Je suis tombé sur des gens faisant des films de monstres. Voilà comment j'ai appris mon métier ». 4
James Horner signe ensuite les séquences sous-marines de Up From The Depths (1979), film d'horreur où une série de mystérieuses attaques aquatiques indiquent la présence d'espèces inconnues de requins géants. Ils se nourrissent de touristes, de pêcheurs, de chercheurs…
Quelques arpèges de harpe, du vibraphone, des clusters de piano, du piano préparé… le compositeur de 26 ans s’entraîne aux rudiments du scoring en mettant en musique le suspense des scènes sous-marines de ce rejeton assez navrant des Dents de la mer (1976). Seules quelques minutes reconnaissables sont mixées. Pour compléter la bande-son de ce film fauché, des musiques temporaires du style librairie musicale de la Hammer sont maladroitement plaquées sur des scènes indigentes.
Le seul moment musical où l’on reconnaît vraiment le compositeur et l’ébauche de son style mélodique est une forme de fanfare qui intervient à la fin du film pour la résolution. Déjà les cors dans un registre haut…
«Vous ne travailliez pas pour Roger Corman pour gagner votre vie, mais pour l'expérience de la réalisation d'un film et pour l'apprentissage de votre métier. De nombreux cinéastes ont débuté avec Roger Corman parce qu'ils pouvaient faire beaucoup de films, mais la plupart d'entre eux étaient des films d'horreur effroyables et de faible qualité. Toutefois ils étaient un excellent moyen de commencer ». 5
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En 1980, James Horner poursuit son apprentissage avec tout d'abord Les monstres de la mer (Humanoids From The Deep), un nouveau film d'horreur.
Des expériences scientifiques produisent une espèce moitié homme et moitié saumon qui terrorise un petit village de pêcheurs en tuant les hommes et en violant les femmes.
Premières recherches sonores et utilisation de techniques contemporaines, ébauche du remarquable et inspiré Wolfen, Humanoids From The Deep est baignée par un thème aux tonalités inquiétantes, qui pourrait évoquer l’existentielle Question sans réponse (1908) de Charles Ives (The Unanswered Question). Idée qui sera reprise de façon plus explicite dans Wolfen et qui était, si l’on peut dire, brièvement à la mode à l’époque, si l’on se souvient du thème original composé par Jerry Goldsmith pour Alien (1979) – non utilisé par Ridley Scott – celui de Laurence Rosenthal pour The Island of Dr Moreau (1977) ou du développement majestueux du même Goldsmith dans Outland (1981).
La musique de films hollywoodienne à la fin des années 80 est incontestablement dominée par John Williams (Star Wars – 1977) et Jerry Goldsmith (Alien– 1979). Les producteurs de l'époque sont obsédés par leurs partitions et attendent de James Horner d'en composer des similaires. Il devient alors difficile d'esquiver les volontés de ceux qui vous embauchent, tout en imposant son propre style, ses idées. Alien de Jerry Goldsmith était d'ailleurs dans ces années-là une des musiques les plus utilisées en musique temporaire de nombreux films sur lesquels James Horner a travaillé. Ici pour Humanoids From The Deep c'est Jaws de John Williams (1975) qui a été utilisé pour certains passages impressionnistes : Jerry and Peggy, Trip Upriver.
 
Main Title – HUMANOIDS FROM THE DEEP – Original Soundtrack by James Horner
© 1980 New World Pictures, under license to BSX Records – BSXCD 8896
 

Même si le jeune compositeur n’a pas les moyens dont disposait son aîné, il prouve avec ce nanar aquatique que la médiocrité du support ne le dispense pas de donner de quoi faire aux musiciens de son petit orchestre : pas d’ampleur symphonique, quasi-absence de cuivres – certainement pour des raisons de budget – mais une écriture efficace, de belles couleurs instrumentales dans la continuité des scènes sous-marines de Up From The Depths (harpe, xylophone, piano préparé), les instruments aux sonorités étranges comme le blaster beam, le rubrods. Ce sont surtout les cordes et les percussions (dont le « Cowbell », les cloches tubulaires) qui sont sollicitées. On détecte également des clins d’œil aux symphonies de Chostakovitch dans Search for Clues (11eme symphonie) ou The Grotto (5eme symphonie).
Cet opus nanaresque s’écoute avec un certain plaisir pour la maîtrise d’écriture dont fait preuve ce jeune compositeur tout droit sorti de la salle de concert. Mais on préférera écouter des partitions à venir, qui en sont un développement plus abouti bien que composées dans l’urgence, comme Wolfen (1981) ou Krull (1983).
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Dans l'optique de concurrencer Star Wars (1977), Roger Corman obtient un budget de deux millions de dollars pour réaliser un space opera : Les Mercenaires de l'Espace (Battle Beyond the Stars – 1980). James Horner fait partie de l'aventure, c'est le quatrième film du cycle Corman.
Un tyran cruel et sans pitié a instauré une dictature sur la planète Akir. Ses habitants, des êtres pacifiques, n'ont jamais osé le contester, par peur de terribles représailles. Un jour, le conseil des anciens décide d'envoyer Shad dans l'espace à la recherche d'aide pour organiser une révolution…
Âgé de 26 ans, James Horner parvient malgré le petit budget alloué à la musique, à réunir soixante-deux musiciens afin de simuler le son du London Symphony Orchestra. Toutefois il ne bénéficie pas encore du travail de musiciens syndiqués.
« Quand un grand studio fait un film, il a un contrat avec l'Union des musiciens [ndlr, American Federation of MusiciansAFM] qui lui permet d'utiliser le personnel de l'Union dont tous les meilleurs compositeurs et musiciens sont membres. Cependant, cela l'oblige également à payer des frais supplémentaires. Quand je travaillais avec Roger Corman, les musiciens n'étaient pas signataires avec l'AFM, afin que je puisse embaucher des orchestres entiers… Ainsi au lieu de leur payer 360 $ pour une session de trois heures, je leur payais comme 80 $ ou 100 $ pour toute la journée, et bien sûr, je ne prenais pas de frais du tout ».  5
Ainsi l'interprétation de Battle Beyond The Stars peine parfois notamment dans la section des cuivres, mais le temps donné aux enregistrements devait être ridiculement court. Toutefois on comprend aisément l’effet produit dans le monde du cinéma bis de Roger Corman par cette partition symphonique qui impressionne par son ampleur, son souffle, sa dynamique. Partition tributaire du travail de ses aînés, elle est, à la demande des commanditaires, le prolongement du choc symphonique de Star Wars et de Star Trek.
Mais ce n’est pas que cela. James Horner démontre que l’imitation des principes ou de passages précis de ces partitions n’exclut pas un style symphonique propre et une remarquable maîtrise des codes de la composition et de l’orchestration. Faite à la manière de ses prédécesseurs, certes, mais déjà, le compositeur de Star Trek II (1982), Krull (1983) et Cocoon (1985) sommeille…. La partition est tout sauf pauvre ou dénuée d’idées, et la présence des références à Star Wars, Star Trek, de clins d’œil à Prokofiev ou Mahler, ne changent rien au fait qu’une personnalité émerge…
On se demandera certainement encore longtemps ce que recèle sa partition pour le concert Spectral Shimmers, mais Battle Beyond The Stars porte en elle une personnalité affirmée qui saisit le sens musical à donner à un drame. Mélodies amples et rondes, amour du cor, orchestrations limpides, maîtrise des techniques d’écriture modernes permettant d’approfondir et de pimenter le style post-mahlérien, il y a vraiment plus de talent que n’en demande le nanar produit par la firme Corman…
 
Main Title Batte Beyond The Stars – Original Soundtrack by James Horner

© 1981 New World Pictures, under license to BSX Records – BSXCD 8888
 

Le thème principal a été repris dans plusieurs bandes-annonces et Roger Corman a réutilisé cette bande originale dans plusieurs de ses productions ultérieures comme Sorceress (1983), Space Raiders (1983) et même Raptor (2001), dont James Horner n'a sans doute jamais vu aucune image.
A la réalisation artistique et aux effets spéciaux de Battle Beyond the Stars s’exerçait un certain James Cameron, futur réalisateur de Titanic (1997) qui se souviendra quelques années plus tard de James Horner pour composer la musique de son film Aliens (1986).
« J'ai rencontré James Horner sur Battle Beyond the Stars, qui était le premier film qui m'a permis d'obtenir un chèque de paie. Je suis entré en tant que constructeur de maquettes et j'ai fini trois mois plus tard chef décorateur, chose qui ne peut arriver que dans une production de Roger Corman. La bande-originale était de loin le principal atout du film. C'était une partition orchestrale, avec aucun synthétiseur ridicule. Après j'ai rencontré James à quelques reprises, puis Gale Anne Hurd [productrice d'Aliens, ndlr] et moi, nous avons observé sa progression fulgurante ». 6
Au terme de ces quatre films la période Corman touche à sa fin et même si la qualité cinématographique n'était pas au rendez-vous, cette étape fut essentielle pour construire des compétences de compositeur pour l'image. Roger Corman a été comme un parrain pour James Horner.
« Le titre de « parrain » lui va bien, quand on pense qu'il a su dénicher le talent de Francis Ford Coppola (rires). Le budget était dérisoire mais Roger me laissa une grande liberté de création. A Hollywood, les producteurs vous demandent souvent d'imiter ce qui a fait le succès d'un film précédent. Pas facile, dans ces conditions, d'imposer ses idées de composition. J'ai une gratitude éternelle pour Roger et je ne renie pas mes premiers films – Du rouge pour un truand de Lewis Teague (1979), Les Mercenaires de l'espace de Jimmy T. Murakami (1980) et tous les autres films d'horreur et d'anticipation. Ils font partie de mon apprentissage ». 7
« Ce que travailler pour Roger m'a apporté : cela m'a aidé à construire mes compétences, à produire de la musique pour rien et à rechercher l'écriture de la meilleure musique possible ». 8
Au terme de ses deux années chez New World Pictures, James Horner a maintenant assez d'expérience pour prétendre ouvrir les portes de studios plus importants.

« Battle Beyond the Stars a été le film qui m'a mis sur la marche suivante de l'échelle. Il m'a amené à la Paramount et à Star Trek ». 2
Mais tout d'abord en 1981, ce sont les studios Orion et Polygram qui feront appel à lui pour écrire la musique de leurs productions. 
 

Article écrit par David Hocquet et Jean-Baptiste Martin
Traduction par Kjell Neckebroeck
Bannière titre réalisée par Javier Burgos

Remerciements particuliers à Byron Brassel, Nick Martin et Olivier Soudé. 
 
Sources :
 
Crédits photo :
James Cameron : Angela George [CC-BY-SA-3.0], via Wikimedia Commons
Autres images et artworks : © New World Pictures
 
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